Absence de supérieur(e), horaires flexibles, salaires avantageux : nombreuses sont les raisons qui poussent les jeunes à se tourner vers le service de livraison d’Uber Eats comme emploi étudiant. Or, le gain en popularité de cette occupation auprès des étudiants et des étudiantes inquiète les spécialistes.
Livreur pour Uber Eats depuis près d’un an et demi, Olivier Choquette est étudiant au baccalauréat en éducation physique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Se cherchant un emploi qui concordait avec son horaire de cours, Olivier s’est fait conseiller la livraison par un ami. Il a immédiatement été séduit par ce travail. « Avec Uber Eats, tu ouvres ton application, tu appuies sur “Go” et c’est parti! », affirme le livreur. Ce dernier a été impressionné par les avantages de l’entreprise : « Tu n’as aucun patron, un bon taux horaire [oscillant entre 20 $ et 30 $ par heure] et tu peux travailler avec ta musique dans ton auto. »
« C’est avantageux pour les étudiants et étudiantes pour qui l’horaire d’études fluctue selon le moment de l’année », précise Uber Eats dans une déclaration transmise au Montréal Campus. N’ayant besoin que d’être âgé(e)s de 19 ans et de détenir un permis de conduire s’ils et elles veulent livrer en voiture, des étudiants et des étudiantes considèrent la livraison comme une voie facile pour faire de l’argent.
Une liberté remise en question
Olivier Choquette est conscient qu’il n’est pas réellement libre dans son choix d’horaire. « Si tu veux être efficace, il faut que tu sortes [travailler] les midis et pendant les soirées », explique le jeune livreur. Afin de faire sortir ses livreurs et ses livreuses, Uber Eats met en place des incitatifs et des promotions pendant les périodes où la demande est la plus importante – des bonis en argent durant les fins de semaine, par exemple.
La doctorante en communication de l’UQAM Lucie Enel a fait sa thèse de doctorat sur le service de livraison américain. Elle abonde dans le sens du livreur étudiant : « C’est une flexibilité relativisée. Pour optimiser son revenu, il faut développer un savoir-faire pour détecter les moments les plus payants, comme les soirées entre 17 h et minuit, ce qui t’empêche de sortir avec tes amis. »
Selon elle, les risques de cette « flexibilité » d’Uber Eats sont nombreux. « Plusieurs [livreurs et livreuses aux études] me disaient que ça pouvait devenir obsessif. Comme ils peuvent caser [les livraisons] dans de courts laps de temps, dès qu’ils ont deux heures de libre, ils sortent livrer », soutient la doctorante. Le fait que les livreurs et les livreuses soient seul(e)s avec leur application inquiète aussi Mme Enel. Cette dernière estime que cet emploi peut être très « désocialisant », surtout pour une personne aux études. « Quand tu n’as pas d’horaire fixe, tu peux te perdre », dénonce Mme Enel.
Entre le bâton et la carotte
Afin d’assurer un certain contrôle de qualité, Uber Eats propose à sa clientèle les coursiers et les coursières qui détiennent les meilleures notes. « On est constamment évalués », souligne Olivier Choquette. Selon le pourcentage de satisfaction des 100 dernières livraisons effectuées, « ceux et celles ayant une note supérieure à 93 % auront des rabais [chez divers partenaires] les récompensant », précise l’étudiant.
Dans le cas où les performances et les services d’un livreur ou une livreuse sont jugées insuffisantes ou mauvaises, « Uber Eats peut désactiver leur compte sans préavis et la décision n’est que difficilement renversable », soutient Mme Enel. C’est l’équivalent d’un « congédiement » d’Uber.
En zone grise
Les juristes du droit du travail ne sont pas en mesure de défendre les livreurs et leurs livreuses en raison de leur statut de travailleur et de travailleuse autonome. Pour que des salarié(e)s soient protégé(e)s par le droit du travail, une relation avec un(e) employeur(e) est nécessaire, précise la professeure en droit du travail à l’UQAM Lucie Lamarche.
Dans le cas d’Uber Eats, les livreurs et livreuses n’ont pas d’employeur(e) direct(e). Ils et elles travaillent par l’entremise d’un algorithme, et non pas directement pour l’entreprise californienne. Ainsi, les livreurs et les livreuses d’Uber Eats ne sont pas protégé(e)s contre les accidents de travail, n’ont pas de normes salariales et ne peuvent pas être syndiqué(e)s.
Selon Mme Lamarche, les livreurs et les livreuses partagent une partie du tort. La plupart d’entre eux et elles aiment bien le fait de ne pas avoir d’employeur(e). « C’est bien jusqu’à ce qu’il y ait un problème », tranche la professeure.
Sans nécessairement modifier le droit du travail pour y inclure ces travailleurs et travailleuses, « il faudrait leur donner un statut spécial pour qu’ils et elles bénéficient de protections minimales pour la rémunération, un préavis de “congédiement” et une assurance pour les accidents de travail comme l’Ontario pense faire », estime Mme Lamarche.
Pour elle, le plus important serait de légiférer sur une limite d’utilisation de l’application. Une telle loi éviterait des journées complètes de livraison, surtout nuisibles pour les membres de la communauté étudiante.
« Comme étudiant ou étudiante, livrer pour Uber Eats est certainement une option intéressante pour arrondir ses fins de mois, mais il faut que ça ne soit qu’un bonus », juge la doctorante Lucie Enel.
Mention photo : Camille Dehaene|Montréal Campus
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