Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 novembre 2022
Près de la moitié des Canadiens et des Canadiennes pensent que « les journalistes tentent délibérément de tromper les gens en disséminant de l’information qu’ils savent erronée ou largement exagérée », révèle une étude de la firme de relations publiques Edelman. Inquiète pour l’avenir de ma profession, j’ai tenté de comprendre pourquoi le taux de confiance de la population envers les médias n’a jamais été aussi bas.
Pour Roland-Yves Carignan, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, le problème réside dans le contexte socionumérique dans lequel les médias évoluent. Puisque les gens s’informent majoritairement sur leurs appareils électroniques, ils et elles sont confronté(e)s à une quantité exorbitante d’informations tous les jours. « C’est de plus en plus difficile pour les gens de faire la distinction entre ce qui est un reportage journalistique, une chronique, un publireportage […]. Ça devient très compliqué », explique-t-il.
Un rapport de l’Institut Reuters pour l’étude du journalisme portant sur l’état des médias dans le monde est très évocateur quant à cet enjeu. Les recherches concluent qu’en moyenne, les gens ont de moins en moins confiance envers les médias. Par exemple, en 2018, 75 % des gens avaient foi en la British Broadcasting Corporation (BBC), un radiodiffuseur britannique. En 2022, ce chiffre a chuté à 55 %. Selon l’étude, les gens qui font moins confiance à ce média sont en grande partie des hommes qui sont moins éduqués et qui utilisent uniquement les réseaux sociaux comme source d’information.
Les réseaux sociaux sont sans contredit une mine d’information sans fin pour n’importe quel(le) citoyen ou citoyenne. Les utilisateurs et les utilisatrices ont plutôt tendance à « privilégier les informations qui valident ce qu’[ils et elles] pense[nt] déjà », souligne M. Carignan. Lorsque ces personnes sont confrontées à des points de vue différents des leurs, elles remettent automatiquement en question ces sources, même si l’information est vérifiée, crédible et pertinente. C’est ce qu’on appelle le biais de confirmation.
La pandémie de COVID-19 a assurément nui à la perception que les gens ont des médias d’information. Dès le début de la crise, les consignes sanitaires ont changé à plusieurs reprises, les savoirs des scientifiques quant au virus étant en constante évolution. « Il y avait des journalistes qui devaient relayer le message du gouvernement de changer [nos] comportements. […] Je pense qu’on a perdu bien des gens qui voulaient retrouver leur liberté », soutient M. Carignan.
Selon le professeur, les entreprises médiatiques doivent sérieusement remettre en question leur modèle d’affaires. Ayant comme objectifs de capter l’attention de leur public le plus efficacement possible, d’obtenir des données personnelles sur les comportements des consommateurs et des consommatrices et de vendre de la publicité, les médias sont devenus un « produit de consommation », estime M. Carignan. « Les journalistes aussi participent à ça, en faisant des entrevues plus courtes, des trucs plus punchés et en essayant d’attirer l’attention », ajoute-t-il. « Est-ce que vraiment, le journalisme, qui a un rôle dans la démocratie, c’est un produit de consommation ? », questionne celui qui aimerait voir une « décommercialisation » du journalisme.
Pour l’enseignant, ce débat doit absolument être amené dans la sphère publique. Il estime que la solution passerait par une « coconstruction » de l’information avec le public, afin de le faire participer davantage au processus journalistique.
Cela serait sans aucun doute un pas dans la bonne direction pour que les gens renouent avec les médias d’information. Ils et elles se sentiraient plus concerné(e)s par l’actualité.
Nous sommes à un point de bascule pour l’avenir du journalisme. Cela sera notre devoir, en tant que futur(e)s artisans et artisanes de l’information, de regagner la confiance de la population envers les médias. Pour tirer leur épingle du jeu, les entreprises médiatiques devront entamer une réflexion profonde sur la manière dont ils navigueront dans les complexités du contexte socionumérique actuel.
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