Dena Davida, danseuse, chorégraphe, commissaire, chercheuse et chargée de cours pendant 26 ans à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), continue encore aujourd’hui d’attester son rôle de pionnière dans l’industrie de la danse contemporaine au Québec. Portrait d’une artiste engagée, audacieuse et authentique.
« Je suis arrivée au Québec en 1977 en voulant contribuer au milieu de la danse. Finalement, il manquait de tout », s’exclame la danseuse originaire de la ville de New York, en remarquant l’absence de programmes universitaires spécialisés en danse et le manque de structure générale de l’industrie.
Si le milieu de la danse québécois semblait un peu fermé au monde quand elle a immigré, admet-elle, beaucoup de progrès ont été faits depuis. Mais il reste du travail à faire : elle continue donc à lutter pour une danse plus inclusive, moins raciste. « Notre monde change radicalement, il faut changer le cadre de pensée aussi », soutient-elle.
« Dena Davida, c’est quelqu’un qui défriche et inspire les autres à défricher », affirme pour sa part Valérie Shabbat, collègue et grande amie de Mme Davida, qui voue une grande admiration pour la danseuse. Leur rencontre, au départ professionnelle, a évolué vers une amitié des plus profondes. « Une âme soeur », déclare Mme Shabbat en parlant de celle qui l’a inspirée à toujours pousser ses démarches plus loin.
Céder sa place
« Elle a un amour de la danse indéfectible, la capacité de toujours faire preuve d’audace et d’intégrité, de chercher à prendre des risques », affirme à son sujet le gigueur contemporain Lük Fleury, ami, ex-collègue et ancien élève uqamien de Dena Davida.
« Très excitée » à l’idée de mettre en place un projet qui pourrait faire rayonner la danse au Québec, Dena Davida fonde Tangente en 1980. Il s’agit du premier organisme de diffusion spécialisé en danse au Québec. Après 39 ans à la direction, elle décide de s’en séparer en 2019. « J’ai décidé qu’il était temps pour une nouvelle génération de mener le projet vers l’avenir », explique la danseuse de aujourd’hui âgée de 72 ans.
Selon Mme Davida, sa génération a souvent eu peur de laisser sa place aux prochaines. Elle croit que les gens de son groupe d’âge devraient davantage servir de mentors. « On a la liberté […] d’offrir notre temps pour aider les autres », explique-t-elle.
Toutefois, « les mots retraite et Dena Davida ne vont pas ensemble », plaisante Mme Shabbat. De fait, la septuagénaire travaille sur son dernier projet, Turba, une revue bisannuelle sur le commissariat des arts vivants regroupant une cinquantaine de voix de partout dans le monde, incluant des commissaires, des professeur(e)s, des directeurs et directrices artistiques et des artisan(ne)s en danse, en musique et en théâtre. « C’est ma grande fierté, en ce moment », annonce-t-elle. Le premier numéro paraîtra en avril 2022.
Fuir la résistance
L’un des grands repères de Mme Davida est le contact-improvisation, une forme de danse née au milieu des années 1975 aux États-Unis dans la foulée du mouvement postmoderne. Dans ce style improvisé dansé à deux, « tout part du point de contact » pour partager un moment avec l’autre, suivre l’inertie du corps et l’écouter dans toute la délicatesse et l’ampleur de ses mouvements, explique Dena Davida. « Les valeurs qui émergent de cette façon de danser me collaient à la peau », affirme-t-elle.
Un rapprochement peut-il se faire entre les murs qu’elle a frappés à certains moments de sa carrière et le contact-improvisation? « Laisse-moi y réfléchir », répond-elle, avant d’affirmer qu’en danse comme dans la vie, on doit aller vers là où l’on sent le moins de résistance. « Je n’ai pas besoin de forcer les choses qui ne sont pas possibles », conclut Mme Davida.
« Chaque fois qu’il y a un mur devant moi, je me tourne de bord », dit-elle, considérant en rétrospective que les moments difficiles de sa carrière ont certainement été des points tournants.
Penser la danse
« Je suis très militante, pas juste d’une manière féministe, mais j’essaie de casser le mythe qu’en danse, les corps doivent être jeunes et parfaits », déclare Mme Davida. Cette année, elle a offert trois performances pour de petits publics, dont une issue de sa propre initiative visant à mettre de l’avant des danseuses aînées pour déconstruire le culte de la jeunesse.
Ayant suivi des études en anthropologie, elle réfléchit toujours à la danse sous son côté sociologique et philosophique. Marier danse et pensée est naturel pour elle : « J’ai toujours trouvé que les deux se nourrissaient constamment », affirme-t-elle.
Pour Lük Fleury, c’est l’engagement social qui fait la force de la chorégraphe. « C’est une battante, soutient-il. Elle se bat contre vents et marées avec ses convictions », affirme-t-il.
« Je suis sur Terre pour changer le monde », déclare Dena Davida. Si, plus jeune, elle était prête à tout casser, maintenant, elle aimerait avant tout changer son propre coin du monde. « La révolution est dans le quotidien », estime-t-elle.
Photo courtoisie
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