Le Portugal a récemment adopté une loi qui interdit aux employeurs et aux employeuses de contacter leurs employé(e)s après les heures « normales » de bureau. Dans un contexte où, plus que jamais, les travailleurs et les travailleuses québécois(es) sont en télétravail, la question du droit à la déconnexion numérique occupe l’espace médiatique.
En ne respectant pas cette loi, les employeurs et les employeuses du Portugal risquent une amende pouvant s’élever à l’équivalent de 13 500 dollars canadiens. En France, une loi semblable a été adoptée en 2017. Celle-ci stipule qu’« en dehors de ses heures de travail, tout salarié n’est pas tenu d’être en permanence joignable par son employeur ». Qu’en est-il au Québec, où la pandémie et le télétravail ont rendu la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle poreuse?
Une loi difficile à appliquer
« C’est pas juste une loi […] qui va faire la différence », affirme d’emblée Claude Malouin-Lalonde, une étudiante à la maîtrise en développement organisationnel à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) qui s’intéresse à l’enjeu de la connectivité numérique et à son impact sur la conciliation entre le travail et la vie familiale. Selon elle, une loi sur la « déconnectivité » numérique serait difficile à mettre en application, puisque chaque milieu de travail possède sa propre réalité.
Par exemple, dans les grandes multinationales où les travailleurs et les travailleuses viennent de partout dans le monde, il devient difficile d’imposer des balises pour ne pas contacter ses collègues après les heures normales de bureau, puisqu’elles ne sont pas les mêmes pour tous et toutes.
Même son de cloche pour Roseline Simard, directrice du marketing et des communications pour la firme de génie-conseil BBA, qui doit parfois gérer des crises au sein de son entreprise. « Le défi qu’on a en communication, c’est que des fois, il y a des choses qui doivent sortir le lendemain matin », explique-t-elle.
Les employé(e)s de plus en plus connecté(e)s
Nathalie Roy, responsable au service financier du Collège Durocher Saint-Lambert, est du même avis. Elle constate que depuis qu’elle travaille à la maison, déconnecter est devenu un luxe. « Tu te fais rejoindre par toutes sortes de médiums et tu es sollicitée de plusieurs façons », déplore-t-elle. Elle se compte toutefois chanceuse d’avoir une entente avec ses collègues, qui la contactent très peu après les heures de bureau, à moins d’une urgence.
Mme Simard, qui dirige une équipe de 8 personnes, essaie pour sa part de ne pas joindre ses employé(e)s en soirée. Si elle le fait, « ce n’est pas de gaieté de cœur », souligne-t-elle.
Une charge mentale sous-estimée
Mélanie Trottier, professeure au département d’organisation et ressources humaines à l’UQAM, explique que même si les travailleurs et les travailleuses ferment leurs appareils électroniques ou désactivent leurs notifications pour ne plus être dérangé(e)s, il y a tout de même un « détachement psychologique » que plusieurs peinent à faire. Mme Trottier précise que certaines personnes peuvent se sentir anxieuses à l’idée que leurs collègues travaillent en dehors des heures régulières, contrairement à elles.
Selon la professeure, « droit à la déconnexion numérique » n’est pas un terme approprié. En théorie, tout le monde peut se déconnecter, plaide la professeure. Toutefois, elle explique que « c’est dans l’informel, dans la pression par les pairs, par les collègues, par l’organisation et par les normes » qu’un climat incite les travailleurs et les travailleuses à répondre à leurs courriels après les heures de bureau et à régler des dossiers. « C’est [d’être disponible] 24/7 qui devient intoxicant pour les gens », se désole Roseline Simard.
Une culture qui doit changer
Cette hyperconnectivité numérique, très présente depuis l’avènement du télétravail, crée beaucoup d’anxiété chez les personnes concernées. Cela peut engendrer des impacts négatifs sur la conciliation travail-famille, sur le bien-être et sur la santé des individus, explique Claude Malouin-Lalonde.
La déconnexion numérique doit donc passer par un changement de culture dans les entreprises, selon l’étudiante à la maîtrise en développement organisationnel.
Mme Trottier propose que les employeurs et les employeuses déconseillent fortement à leurs employé(e)s de travailler le soir. Si la direction envoie des courriels, elle ne doit pas s’attendre à une réponse après les heures de travail. Ainsi, plusieurs entreprises encouragent vivement leurs employé(e)s à adopter un mode de vie sain et à maintenir un équilibre entre la vie personnelle et professionnelle.
La connectivité numérique est un nouveau domaine d’étude dont nous n’avons pas fini d’entendre parler. « On est en période de transition, la technologie change nos façons de faire et il faut qu’on s’adapte », conclut Mme Simard.
Mention photo Manon Touffet | Montréal Campus
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