The Gig is Up : épargner l’humain

Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) ont présenté, à la cinémathèque québécoise jeudi soir, The Gig is Up, un long-métrage édifiant et sensible de Shannon Walsh sur l’économie collaborative et ses dérives.

Pour son huitième long-métrage, l’autrice et réalisatrice canadienne Shannon Walsh a transporté sa caméra au Nigéria, aux États-Unis et en France pour recueillir les témoignages des livreurs et des livreuses de nourriture ou de colis pour Uber ou Deliveroo.

Elle dénonce les ravages de l’« uberisation », ce phénomène économique qui met en relation les utilisateurs et les utilisatrices avec un prestataire sous forme d’application. Aujourd’hui, l’économie de plateformes numériques est évaluée à 5 000 milliards de dollars et continue de croître.

Des témoignages poignants

Tourné en 2020, le film suit l’itinéraire de personnages aux parcours variés. À San Francisco, Al Aloudi, chauffeur pour Uber et Lyft depuis 2013, souhaite que le gouvernement adopte le projet de loi 5 afin d’obtenir un statut d’employé, des avantages sociaux et une assurance maladie.

De l’autre côté de l’Atlantique, en France, la coursière à vélo de Deliveroo, Leïla, tente de faire valoir les droits de son ami et collègue Mourad. Ce dernier lutte pour rester en vie après avoir eu un accident de bicyclette alors qu’il livrait un repas.

En Floride, Jason, un ancien prisonnier aux dents en or massif, vit avec sa mère et réalise des sondages en ligne pour Amazon puisque ses antécédents judiciaires ne lui permettent pas de décrocher un poste salarié.

Si toutes ces personnes évoluent dans des environnements différents, les expériences de ces ouvriers et de ces ouvrières invisibles, que nous croisons pourtant tous les jours, semblent très similaires.

En rassemblant leurs témoignages, Shannon Walsh parvient à créer un lien entre ces individus éparpillés aux quatre coins du monde, souvent réduits aux notes attribuées par les utilisateurs et les utilisatrices d’applications. Le montage y est pour beaucoup : on passe aisément de Lagos à Shenzhen pour écouter des personnes dont la force de travail est exploitée sans vergogne par un système capitaliste exacerbé.

Une réalisation efficace

Alors que le léger mouvement de la caméra apporte du dynamisme au film, les plans se resserrent sur les intervenants et les intervenantes afin de les humaniser en percevant chacune de leurs émotions. Les choix artistiques lumineux et colorés confèrent au film un aspect optimiste contrastant avec la lourdeur d’un sujet traité avec précision.

Pour corroborer les observations faites par ce que Marx appelait « l’armée de réserve des travailleurs », des spécialistes comme l’anthropologiste Mary L. Gray déconstruisent les effets pervers de l’ultralibéralisme. De multiples témoignages complémentaires apparaissent aussi tout le long du métrage. Des travailleurs et des travailleuses en situation précaire s’adressent à l’auditoire dans des vidéos publiées sur Facebook et Instagram.

L’utilisation de drones permet de révéler de magnifiques prises de vue du ciel qui apportent une nouvelle dimension à l’œuvre. Par exemple, l’engin survole des cimetières de vélos en libre-service abandonnés à cause de la saturation du marché dans les villes de Chine.

En montrant les dessous d’une économie que les usagers d’applications telle que Uber choisissent d’ignorer, The Gig is Up parvient à mettre en valeur ceux et celles qui apportent nos repas devant nos portes. Scénarisé et réalisé avec justesse, ce long-métrage humanise ces travailleurs et ces travailleuses de l’ombre qui méritent bien mieux qu’une ou deux étoiles.

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