Little Palestine : vivre dans le cauchemar

Il ne s’agit pas de l’horreur préfabriquée qu’on peut voir dans les films hollywoodiens, où les personnages conservent un semblant de beauté malgré la douleur. Dans Little Palestine (Diary of a Siege), le réalisateur Abdallah Al-Khatib entraîne le public dans les décombres de l’humanité sans artifice ni mensonge : il montre l’enfer que le public occidental ne peut pas comprendre.

Présenté dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), Little Palestine met en scène Yarmouk, une petite ville située en banlieue de Damas, la capitale syrienne. Ce sont des réfugié(e)s palestinien(ne)s qui ont bâti la ville et qui l’ont habitée depuis sa création, en 1957.

Dans l’enfer de la guerre civile en Syrie, le gouvernement de Bachar al-Assad a assiégé Yarmouk de 2013 à 2015, de sorte que personne n’a pu y entrer ou en sortir. Little Palestine montre pendant une courte heure et demie l’essence de ces années d’horreur.

La normalité de l’enfer

Ce qui choque le plus dans le documentaire, c’est à quel point l’atrocité est devenue banale pour les habitant(e)s du camp de Yarmouk. La petite Tasnim, âgée d’une dizaine d’années, confie son quotidien à la caméra tout en cueillant des mauvaises herbes, rare nourriture comestible encore accessible : « Ma mère ne mange pas assez, donc elle n’arrive pas à produire du lait pour mon petit frère de six mois, alors il pleure tout le temps puisqu’il a faim. »

Le bruit d’un obus retentit. La petite Tasnim se retourne brusquement et elle regarde autour. Elle revient ensuite à sa besogne. Le réalisateur lui demande si elle a eu peur. « Mon cœur a tressauté, mais je n’ai pas eu peur. On est habitués », répond-elle, un sourire paisible au visage. C’est comme ça, semble-t-elle dire à la caméra. Même si au fond, ça ne devrait pas.

Réalisation sans artifice

Le réalisateur Abdallah Al-Khatib a tout filmé avec sa petite caméra, se mettant souvent en danger pour montrer des scènes poignantes. Par exemple, il filme une tentative de soulèvement dans le camp, qui se finit par les coups de feu des mitrailleuses de l’armée, dans un bain de sang, de Bachar al-Assad.

Les images et le son sont souvent de pauvre qualité et les prises de vue semblent parfois improvisées. Ces caractéristiques donnent d’autant plus de force au documentaire, puisqu’elles renforcent son authenticité. Lorsqu’on s’y attend le moins, les cadrages serrés donnent une dimension émouvante aux plans : la sandale délabrée d’une jeune fille, le visage larmoyant d’une vieille femme agonisante, les yeux vides d’une enfant qui souffre de malnutrition.

Rester humain(e)

Ce sont 181 personnes qui sont décédées de malnutrition pendant le siège de Yarmouk, sans compter celles tuées par les fréquents bombardements. En 2015, l’État islamique a pris le contrôle du camp. Il a ensuite été décimé par des bombardements russes en 2018. La ville a été presque entièrement détruite et les survivant(e)s vivent aujourd’hui un peu partout dans le monde.

Abdallah Al-Katib vit avec sa mère en Allemagne. Celle-ci est d’ailleurs le personnage qui revient le plus souvent à l’écran. Pendant le siège, elle s’improvise infirmière auprès des personnes âgées. Elle tente de leur procurer des médicaments, même si les réserves s’épuisent, et de la nourriture, même s’il n’y en a plus nulle part. Elle s’efforce de conserver son humanité dans l’enfer ambiant.

Conserver son humanité, c’est également la quête du réalisateur, qui ponctue son film d’observations pour survivre en étant assiégé(e). Il conseille de ne pas intérioriser sa douleur, mais plutôt de l’extérioriser en guise de solidarité. Il rappelle aussi que préserver son humanité est difficile, car en état de siège : « Prépare-toi à ce que toutes tes valeurs volent en éclat. »

Malgré tout, l’espoir demeure, tel que l’illustre une scène particulièrement poignante : un groupe d’hommes transporte un piano au milieu d’une rue. Le pianiste commence à jouer, les hommes entonnent un air. Soudain, le bruit d’une mitrailleuse retentit non loin derrière eux. Ils se retournent en continuant à chanter. Le pianiste continue à jouer. Et bientôt l’arme cesse de rugir, ne laissant plus que ces quelques hommes qui chantent au milieu de leur ville en ruines.

Photo fournie

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