L’installation vidéo documentaire Dénombrement, un regard sur l’incarcération au féminin, un projet immersif du collectif Art Entr’Elles présenté dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), transporte l’auditoire dans une aile de prison québécoise et raconte l’expérience émouvante de six détenues.
C’est grâce à la projection de six cellules le long d’un couloir reflétant la lenteur du quotidien en prison pour femmes que Dénombrement, regard sur l’incarcération au féminin fait ressentir l’enfermement au public. Les spectateurs et spectatrices sont ainsi convié(e)s à écouter le documentaire entre deux murs étroits créant une tension presque étouffante. À tour de rôle, les six femmes racontent un pan de leur vie et témoignent de leurs épisodes respectifs en milieu carcéral maintenant terminés. Avec des discours tantôt douloureux, tantôt remplis d’espoir, ces détenues évoquent toutes le besoin d’amour et celui d’être écoutées.
Présenté au coeur de la Cinémathèque québécoise, le court métrage encourage l’immersion. Un seul mur est sollicité pour les six projections simultanées, chacune montrant une porte ouverte sur la cellule d’une détenue et donnant l’impression d’être dans une aile de prison. Tout au long du documentaire, les six femmes n’ont aucune interaction entre elles. Elles tiennent tour à tour leurs monologues, dévoilant l’expérience de la judiciarisation sans jamais s’entrecouper, ni même s’échanger un regard, chacune étant encloisonnée dans sa cellule individuelle.
L’installation documentaire d’une vingtaine de minutes présente de manière bouleversante les enjeux et les sentiments liés à l’incarcération au féminin : l’impuissance, la solitude, l’injustice d’être jugée plus sévèrement que les hommes, la maternité et la relation avec les enfants.
« Le mot dénombrement, on l’entend huit fois par jour [quand on est en prison] », témoigne Carole, l’une des six ex-détenues, présente lors d’une discussion qui s’est déroulée le 18 novembre dans le cadre des RIDM. Le dénombrement, c’est la procédure quotidienne durant laquelle les personnes détenues sont comptées et recomptées.
La projection vidéo humanise ces six femmes qui, en prison, pouvaient avoir l’impression de n’être qu’un numéro. L’exposition démontre bien comment cette déshumanisation, cette disparition de l’identité individuelle afin de faire fondre le tout dans un amalgame diffus d’identités collectives, est bien le propre du système carcéral.
Concis et émouvants, les témoignages permettent de lever le voile sur la féminité et l’incarcération. Les détenues ont des parcours très distincts : l’une d’entre elles n’a passé que trois mois en prison, alors qu’une autre y a purgé une peine de 24 ans. La projection documentaire illustre à la fois la singularité de leurs cheminements tout en présentant l’épreuve commune qu’elles ont eu à surmonter. Lors d’un rare plan où une détenue est à l’extérieur de sa cellule, Christine récite, dans un parc, une lettre s’adressant à son fils qui s’est suicidé pendant son incarcération, laissant place à un moment fort en émotions.
La guérison à travers l’art
Le collectif Art Entr’Elles a réalisé, avec Dénombrement, un regard sur l’incarcération au féminin, un projet collaboratif à caractère militant. Initié en 2009, le collectif réunit des femmes judiciarisées et des artistes professionnelles dans un processus de collaboration et de réalisation artistique. Cette initiative avait donné naissance, en 2011, à l’exposition AGIR | ART DES FEMMES EN PRISON, présentant des oeuvres interdisciplinaires créées à l’intérieur de centres de détention.
Élucidant des questionnements sur la judiciarisation au féminin, l’installation immersive démystifie les préjugés quant aux prisonnières et décortique la personnalité de ces femmes. Dans certains témoignages, ces dernières expliquent qu’il peut être difficile de sortir de la prison, car leur mode de vie doit changer d’une façon draconienne.
Les récits sont souvent remplis d’espoir, comme si ces six femmes avaient continué à cheminer après leur sortie de prison. La réalisation du projet Dénombrement, un regard sur l’incarcération au féminin s’inscrit dans le processus de guérison en travaillant de pair avec des artistes visuelles, mais surtout des personnes marquées par leur expérience, et permet d’ouvrir une réflexion et des discussions sur la féminité en détention.
Photo fournie par les RIDM
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