Entre autofiction et mise en abyme, le 22e long métrage du cinéaste espagnol Pedro Almodóvar, Douleur et gloire, peine à séduire et ennuie quelque peu par son portrait complaisant d’un réalisateur déchu et hagard.
Le public plonge à pieds joints dans l’intimité d’Almodóvar, autant dans ses blessures profondes que dans son désir de les guérir. Porté magistralement par Antonio Banderas – qui a remporté le prix d’interprétation masculine au dernier festival de Cannes –, ce film invite les spectateurs et les spectatrices à suivre les dérives d’un metteur en scène, Salvador Mallo, en proie à son succès défunt. L’inspiration est puisée dans la vie du prodige espagnol; le récit est semi-autobiographique.
Errant entre le passé et le présent, ce film se cherche une vocation à l’image du protagoniste principal qui refuse un retour derrière la caméra, bien qu’il continue à écrire. « Je suis trop vieux, mon corps crie douleur. Je ne pourrai supporter un tournage », se plaint-il à son agente. Pour faire la promotion de son film Sabór tourné il y a trente ans, et qui connaît un nouvel engouement dans les universités espagnoles, Mallo appelle l’acteur vedette qu’il a dirigé et avec qui il s’est brouillé à la fin du tournage. Il s’agira d’une réconciliation entre les deux hommes qui ne savent plus comment s’accomplir et satisfaire leur élan créatif.
Sauver le tumulte artistique
Cette rencontre fictive est en fait celle du réalisateur de 70 ans et de Banderas. Dans les années 80, ce dernier était son acteur fétiche, lui qui a joué dans les dix premières années de son cinéma. Hollywood a tôt fait de le repérer et de lui offrir des rôles qui lui ont apporté la consécration internationale dans des superproductions telles que Le Masque de Zorro (1998). Ensuite, silence radio entre les deux artistes ibériques. Ils ont tourné à nouveau ensemble pour La piel que habito (2011), mais la discorde était au rendez-vous. C’est pourquoi Douleur et gloire demeure beaucoup plus qu’un simple film pour les deux hommes. Antonio Banderas devient carrément l’alter ego d’Almodóvar et sa performance émouvante d’un homme prisonnier de son propre corps tant il souffre est formidable.
Dans un entretien avec La Presse, Banderas rappelle qu’il espérait vraiment se reprendre avec Douleur et gloire; le tournage de La piel que habito avait été un peu tendu. Il était arrivé aux répétitions en faisant valoir l’expérience acquise en Amérique et en montrant les outils qu’il avait appris pour parfaire son jeu. Almodóvar avait alors été outré et lui avait répondu qu’il ne le reconnaissait plus, qu’il n’était plus l’Antonio qu’il avait connu.
Requiem ou hymne au cinéma ?
Almodóvar signe-t-il ici son chant du cygne ? Une chose est certaine : il règle ses comptes, notamment avec sa mère, campée par sa muse de toujours Penélope Cruz, en lui demandant s’il a été un bon fils. Aussi, difficile de croire que c’est son dernier film étant donné le message phare qui y est véhiculé : le cinéma et même, ratissons plus large, l’art, demeure une vocation bien plus qu’une profession. Par ce long métrage, le réalisateur se donne un nouvel élan et prouve qu’il existe à nouveau.
Douleur et gloire est aussi un hommage flamboyant aux douces campagnes centrales espagnoles bercées par les vagues. Ponctué d’humour, le film offre des moments bouleversants, tels que la rencontre entre Mallo et un ancien amant, ainsi que des esbroufes comiques donnant du souffle au récit. La musique vibrante et prenante d’Alberto Iglesias attendrit cette jolie histoire malgré un certain narcissisme, particulièrement lorsqu’Almodóvar se met en scène en plongeant dans son enfance.
La grande beauté de ce film, qui représentera l’Espagne pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, repose sur la maturité et l’honnêteté du cinéaste. Il faut connaître Almodóvar et le contexte de production pour apprécier cette histoire dans toute sa finesse et ses subtilités. En fait, par une mise en scène colorée et pittoresque, Douleur et gloire présente la réalisation du film même. L’oeuvre est très métaphysique et les mises en abyme pleuvent. Le long métrage est présentement projeté au Cinéma Beaubien et au Cineplex Odeon du Quartier Latin.
Photo fournie par le FNC
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