Un dossier sur l’écoblanchiment [2/3]
Alors que les jours restants à la campagne électorale fédérale s’écoulent, le Parti libéral et le Parti conservateur mènent le bal, selon les récents sondages. Comparaison des plateformes vertes des deux partis politiques en lice, dans le cadre de notre dossier sur l’écoblanchiment en période d’élections fédérales.
Les conservateurs affirment pouvoir répondre aux objectifs fixés par l’Accord de Paris, soit de réduire de 30% les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 par rapport à 2005. Les libéraux, eux, visent un objectif encore plus audacieux, celui du zéro émission d’ici 2050, comptant en grande partie sur la taxe carbone. Mais comment ces partis comptent-ils atteindre leurs cibles vertes?
La taxe carbone, initiative libérale datant de 2005, est un des piliers de la plateforme environnementale proposée par le parti de Justin Trudeau. Elle aura quintuplé d’ici 2022, en passant de 10$ la tonne en 2018 à 50$. « On estime que ça va nous permettre à l’horizon de 2022 ou 2023 de réduire les émissions de gaz à effet de serre au Canada de 60 millions de tonnes », explique le candidat libéral dans la circonscription Laurier-Sainte-Marie, Steven Guilbeault.
Des taux qui volent bas?
Prise isolément, la taxe carbone telle que présentée par les libéraux ne suffirait pas à atteindre les engagements du Canada en vertu de l’Accord de Paris, d’après le rapport rédigé par le Directeur parlementaire du budget (DPB), Yves Giroux. Selon ses conclusions, le prix d’une tonne de carbone devrait monter à 102$.
Si le seuil de cette taxe n’augmente pas suffisamment, la population canadienne ne changera pas ses habitudes de consommation, selon la vice-doyenne à la recherche et professeure à la Faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Maya Jegen. « L’objectif de cette mesure, c’est que ça coûte trop cher, afin de produire un changement de comportement, estime-t-elle. Au moment où ça commencera à faire un peu mal, il se peut que les gens s’orientent vers d’autres technologies ».
Questionné sur la possibilité d’une augmentation prochaine du taux de la taxe, M. Guilbeault a indiqué que les libéraux, s’ils sont réélus, « s’engagent à faire une réévaluation dans le prochain mandat pour voir quelle sera la suite des choses au niveau de la tarification ».
Abolir la taxe sur le carbone?
Si les conservateurs accédaient au pouvoir, le débat serait clos : la taxe carbone serait abolie. Andrew Scheer a maintes fois reproché à cette mesure d’affecter le portefeuille des Canadiens et des Canadiennes. « Ce qui me désole, c’est qu’en ce moment, la taxe sur le carbone devrait être payée par la majorité des entreprises, reproche la candidate du Parti conservateur dans la circonscription de Montcalm, dans la région de Lanaudière, Gisèle DesRoches. « C’est 92% des citoyens qui paient et 8% seulement des entreprises. »
Alors que l’équipe d’Alain Ryes, du Parti conservateur, a affirmé par courriel qu’il s’agit de « données tirées du rapport du Directeur parlementaire du budget », le professeur au Département des sciences de l’économie de l’UQAM Charles Séguin ignore la provenance de ces chiffres.
Ce dernier reconnaît toutefois que « certaines entreprises dans les secteurs industriels et de l’électricité paient pour une moins grande fraction de leurs émissions que celles dans le secteur de l’essence ». Il ajoute qu’il y a indéniablement un impact financier sur les consommateurs et plus particulièrement en ce qui concerne vente d’essence, dont il prévoit une hausse d’environ 0,12$ sur un litre d’essence en 2022.
En contrepartie, les conservateurs semblent passer sous silence le fait que les contribuables affecté(e)s par cette taxe recevront un crédit d’impôt compensatoire, considère M. Séguin. « Les gens plus riches payent un plus gros pourcentage de taxes. Les sommes pour les individus sont quand même relativement petites », juge-t-il en précisant que cette taxation est équitable en raison de sa nature progressive.
« Au Canada, le transport représente près du tiers des émissions. Il reste donc beaucoup d’autres secteurs, comme la production d’électricité, qui sont très affectés par cette taxe ».
Investir dans les technologies vertes: un faux ami?
Selon Mme DesRoches, l’approche des conservateurs consiste à troquer la taxation sur le carbone pour investir dans le développement de technologies vertes qui « encourageraient les Canadiens à avoir un mode de vie plus écoresponsable ». À travers cette « panoplie de mesures incitatives », elle donne l’exemple d’un crédit d’impôt sur le transport en commun, de même qu’un autre sur la rénovation écoénergétique de bâtiments.
Ces deux mesures sont largement insuffisantes, selon M. Séguin. « Là, on est en train de comparer des mesures qui vont affecter 3 à 4% des émissions [celles proposées par les conservateurs] à des mesures qui affectent 80% des émissions [avec la taxe sur le carbone des libéraux]. »
De plus, ces promesses viennent marcher dans les plates-bandes de la taxation du carbone, d’après M. Séguin. « Le fait d’avoir un coût sur le carbone donne déjà des incitatifs à investir dans des technologies pour les entreprises sans que le gouvernement ait à mettre aucun dollar de sa poche ».
De plus, le Parti conservateur promet d’investir 250 millions de dollars dans un fonds géré par le secteur privé, s’il rentre au pouvoir : un montant dérisoire selon M. Séguin. « Ce n’est pas beaucoup d’argent dans cet enjeu, évalue-t-il. Au Québec, la vente de droits d’émission, de permis de carbone, ça génère un milliard de dollars par année, juste au Québec ».
Le professeur d’économie redoute également que l’intérêt financier des entreprises fasse en sorte qu’elles soient plus frileuses dans la transition vers des technologies moins polluantes et que le gouvernement ne subventionne pas les meilleures initiatives.
Pour l’heure, le Parti libéral de Justin Trudeau récolte 31% d’intention de vote à l’échelle du pays, légèrement derrière le Parti conservateur d’Andrew Scheer qui en obtient 32%, selon un sondage récent de la firme Recherche Mainstreet publié mardi par Groupe Capitales Médias (GCM).
photo: LUDOVIC THÉBERGE MONTRÉAL CAMPUS
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