Québec tourne autour du « pot »

La légalisation du cannabis récréatif au Canada ouvre la porte à la mise en place de comptoirs privés dans plusieurs provinces. Le cadre légal actuel empêche toutefois le Québec d’imiter les Pays-Bas, où la vente de la substance dans certaines boutiques dédiées à la vente de cannabis est tolérée depuis 1976.

Aux Pays-Bas, l’un des rares pays qui tolèrent la vente privée de cette substance, les transactions de moins de cinq grammes de cannabis opérées par un « café cannabis » ne sont pas sanctionnées. « C’est une légalisation [qu’on dit] négative, c’est-à-dire que [les autorités] n’ont pas donné le droit aux gens de vendre. Elles ont décidé qu’administrativement elles allaient arrêter de criminaliser certaines infractions », explique le porte-parole du Bloc Pot du Québec Hugô St-Onge. Il revient ainsi aux villes d’accorder un permis afin d’autoriser un « café cannabis » néerlandais à vendre du cannabis.

« Cinq grammes sont autorisés par personne, par visite. Nous ne notons pas chaque client qui achète. Ainsi, une personne peut revenir et en acheter encore. Nous ne savons pas combien cette personne en a acheté auparavant », soutient un représentant du « café cannabis » IBIZA, situé à Amsterdam. Comme lui, les quelque 250 commerces de ce genre dans la ville sont soumis à une réglementation par les autorités.

« Les seuls règlements qui sont difficiles à appliquer concernent l’achat de cannabis et la quantité maximale de 500 grammes [permise par boutique] », explique l’entreprise IBIZA. Un commerce de la ville qui posséderait une quantité plus élevée que 500 grammes s’expose à des amendes, et même à une fermeture. Comme le souligne le « café cannabis », l’achat et la culture du cannabis demeurent illégaux.

Il s’agit encore, à l’heure actuelle, de producteurs et productrices non autorisé(e)s, issu(e)s du marché noir qui opèrent et qui approvisionnent les dispensaires de cannabis à usage récréatif d’Amsterdam, observe Hugô St-Onge. Il y voit un enjeu quant à la qualité du produit.

Modèle réaliste au Québec ?

L’un des membres fondateurs du Bloc Pot, Michel Lalancette, avait ouvert en 1986 Cannabis Montréal, un café qui offrait ouvertement du cannabis et du haschich. M. Lalancette a écopé d’une peine d’emprisonnement pour la vente de drogue sans permis. Hugô St-Onge fait valoir qu’à Amsterdam, cette pratique n’était pas tolérée lorsque les premiers « cafés cannabis » ont ouvert leurs portes. Les autorités ont alors procédé à plusieurs arrestations de propriétaires, avant de décriminaliser la pratique, rapporte-t-il.

Dans le contexte actuel, permettre à des clients de fumer à l’intérieur de cafés irait à l’encontre de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, qui interdit la fumée du tabac dans les lieux publics, estime le chargé de cours au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) André Lamoureux. « Si on introduit les cafés où l’on peut consommer du cannabis, les fumeurs [de tabac], qui se sont vus interdire le droit de fumer la cigarette dans les restaurants ou dans les bars, vont dire qu’il y a deux poids, deux mesures », estime M. Lamoureux.

Le professeur en psychoéducation à l’Université de Montréal Jean-Sébastien Fallu voit également cette loi comme un obstacle à l’implantation d’un réseau de boutiques privées de cannabis au Québec.

« Il y a deux enjeux autour de [la vente du cannabis dans des cafés] : le premier, c’est l’enjeu de glorification, de créer une culture du cannabis. […] L’autre enjeu, c’est la fumée », considère M. Fallu. Pour remédier à ce problème, il propose une solution de rechange qui n’a pas été retenue par le gouvernement du Québec : les salons de vapotage. Cette avenue serait moins nocive, avec une aération adéquate, selon lui. André Lamoureux y voit également « une modalité de consommation qui pourrait être tolérée au Québec ».

« Il faudrait que ces coffee shops soient réglementés et contrôlés en termes de distribution et de fournisseurs », analyse M. Lamoureux. La Société québécoise du cannabis (SQDC) devrait à son avis encadrer ces commerces pour lutter contre le crime organisé.

« Mais, à court terme, ce n’est pas très possible, et surtout, ça ne remplace pas le besoin d’avoir des espaces extérieurs pour consommer du cannabis », tranche M. Fallu.

Plus verte chez le voisin

Le gouvernement de l’Ontario a annoncé que des commerçants privés pourront recevoir une licence à compter du 1er avril prochain afin de vendre du cannabis. L’entreprise Second Cup s’est montrée intéressée à ajouter au menu de plus d’une vingtaine de ses succursales ontariennes des produits dérivés du cannabis.

« Ce qui est incohérent, dans le cas ontarien, c’est qu’on tient deux discours en même temps : un discours de santé publique et un discours de commercialisation, soutient le chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) Philippe Hurteau. C’est plus cette incohérence qui pose problème que le fait que du cannabis soit vendu dans des Second Cup ou dans d’autres cafés. »

En ce sens, il observe que la SQDC répond aux visées de sécurité et de santé publique, dont celles de « rendre le produit disponible [et] d’offrir un pignon sur rue à des commerces, pour rendre le produit disponible, sans en faire une commercialisation ».

Comme plusieurs spécialistes, Jean-Sébastien Fallu privilégie l’encadrement par l’État de la production et de la distribution, afin d’éviter une privatisation sans règlement du produit. Un modèle trop promotionnel favoriserait, à son avis, la rentabilité des « cafés cannabis » au détriment de la santé publique.

« Je pense que si on est capable de gérer des bars et des gens saouls qui sortent à deux heures du matin, on est capable de gérer des places d’où les gens vont sortir calmes et rieurs », croit M. St-Onge.

photo: GABRIELLE AUDET-MICHAUD MONTRÉAL CAMPUS

Les « cafés cannabis » sont des endroits populaires auprès des touristes à Amsterdam, aux Pays-Bas.

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