Structure emblématique du campus universitaire du Quartier latin, l’église Saint-Jacques, dont certains éléments ont été conservés lors de la construction des pavillons Judith-Jasmin et Hubert-Aquin dans les années 70, représente encore aujourd’hui une innovation dans la préservation du patrimoine de Montréal.
Construite de 1858 à 1860 et rachetée en 1973 par l’UQAM, l’église, encore en partie présente sur le campus du Quartier latin, est imbriquée dans le pavillon Judith-Jasmin. La conservation de son clocher, de ses boiseries et de son transept sud reflète l’importance symbolique de sauvegarder des bâtiments patrimoniaux du centre-ville, à l’époque où l’église vient d’être classée à titre de monument historique. « C’est extrêmement novateur pour l’époque de construire de façon complètement moderne, mais aussi d’intégrer des parties plus historiques qui permettent de conserver une mémoire du site », explique le professeur en études urbaines et touristiques à l’UQAM Martin Drouin.
Débat religieux
L’idée d’intégrer un bâtiment à vocation religieuse à une université publique et laïque sème tout de même la controverse au sein de la communauté religieuse. « En même temps, pour une partie des catholiques, c’était une façon de permettre que la mémoire catholique traverse le temps, à travers un processus de patrimonialisation d’un bien religieux », souligne la professeure au Département de sciences des religions de l’UQAM Catherine Foisy.
La conservation du patrimoine prend rapidement le dessus sur le débat entre la religion et la préservation de bâtiments historiques à Montréal. « La lutte citoyenne des années 70, c’est d’élargir la notion de patrimoine et conserver des bâtiments qu’on considérait comme moins importants. Le projet de l’église Saint-Jacques participe donc à la conception de vouloir intégrer le patrimoine à l’architecture moderne », précise M. Drouin.
Pour les Montréalais, conserver en mémoire un lieu historique est donc plus important que le symbole religieux du bâtiment. « On bascule rapidement dans le cas du patrimoine, de l’histoire, des raisons symboliques », ajoute-t-il, ne pensant pas que l’UQAM rejette son statut d’institution laïque en raison de la conservation d’une église entre ses murs. Le bagage historique de l’endroit ne peut être ignoré, pense Mme Foisy. L’UQAM a la volonté de demeurer indépendante de toute institution religieuse, mais la communauté universitaire est consciente du passé catholique de Montréal. Le fait d’intégrer l’église à une université qui prône d’ailleurs l’essor social renvoie bien à la dimension collective et communautaire du catholicisme, ajoute-t-elle.
Moderniser l’héritage
L’inclusion d’un monument religieux au sein de l’UQAM paraît avant-gardiste dans les années 70, alors que le Québec démolit bon nombre de bâtiments religieux. « C’est la première fois qu’on fait l’intégration d’un tel monument historique dans une institution contemporaine. C’est donc vu comme un progrès dans la sauvegarde du patrimoine à Montréal », confirme l’architecte paysagiste et chargé de cours en études urbaines et touristiques à l’UQAM Jonathan Cha.
L’intention du gouvernement de conserver certains morceaux de l’église et de bâtir l’université autour de ces éléments est très audacieuse, puisque le bâtiment tombe en ruines et que ses chances de survie sont minces. « On va faire en sorte que le nouveau bâtiment s’intègre bien au site, selon les critères de l’époque, relate M. Drouin. On veut donc que les bâtiments ne soient pas trop hauts et ne viennent pas, avec leur masse, emprisonner le bâtiment ancien. »
Les architectes de la firme Jodoin Lamarre Pratte ainsi que l’urbaniste Dimitri Dimakopoulos tentent d’ailleurs de conserver la valeur de repère géographique du clocher lors de la construction des pavillons, ce qui explique l’aspect massif des bâtiments du côté de la rue Saint-Denis. Les architectes confectionnent un projet moderne pour fusionner la cathédrale avec le nouveau campus. « L’idée d’intégrer à la ville et à ses artefacts les éléments de l’ancienne église fait partie du concept. De là est générée l’idée de construire l’agora, qui est le cœur des réseaux de circulation et la pièce maîtresse de l’UQAM », explique-t-il. Sur le plan des espaces et de la conservation, le travail des architectes est reconnu encore aujourd’hui.
Érosion urbaine
Quelques mois avant le 40e anniversaire des pavillons Judith-Jasmin et Hubert-Aquin, le clocher est en cours de restauration. Certains gestes de dégradation affectent l’image de l’université, qui investit trop peu dans certaines mesures importantes, telles une vraie barricade ou des barres de métal pour bloquer un accès, pense Martin Drouin.
Il soutient que les portes barricadées avec des plaques de bois ou les rubans jaunes qui indiquent « danger » lorsqu’une partie des marches n’est pas déneigée tranchent avec la beauté du bâtiment. « Il faut entretenir ce qu’on a et ajouter des éléments qui ont de l’allure, exprime-t-il. S’il y a une contrainte budgétaire, c’est dommage qu’on bâtisse de nouveaux pavillons sans entretenir les anciens. »
Le concept architectural a été pensé de façon urbaine, mais l’université devrait malgré tout tenter de mieux préserver ces éléments patrimoniaux en les intégrant aux activités quotidiennes de l’UQAM, appuie Jonathan Cha. Leur classement patrimonial et leur intégration à l’architecture des pavillons sont un reflet de l’importance que l’université doit accorder à leur préservation.
La communauté universitaire est tout de même fière de l’emblème historique que renferme l’architecture des pavillons Judith-Jasmin et Hubert-Aquin, croit M. Cha. « Les architectes ont voulu construire une université qui est à l’image d’une université sociale, engagée et différente des autres », pense l’architecte paysagiste et chargé de cours. C’est d’ailleurs une vision qui semble avoir traversé les époques et qui se reflète aujourd’hui dans l’identité uqamienne, presque 40 ans plus tard.
photo : MICHAËL LAFOREST MONTRÉAL CAMPUS
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