Un pas vers l’autre | Réinsertion sociale dans Hochelaga-Maisonneuve

Dans Hochelaga-Maisonneuve, le visage de la rue Sainte-Catherine avait besoin d’un lifting. Cet automne, la Brigade verte s’est mise à l’œuvre pour embellir l’artère commerciale, au profit de tous.

Ils sont fiers d’être là, se sentent valorisés, et tout le monde est gagnant. La formule n’est pas nouvelle, mais dans le quartier elle fait son apparition. L’idée de la Brigade verte est de revitaliser le quartier en offrant du travail à des personnes en transition. Leur parcours est toujours singulier et ils n’ont qu’un seul dénominateur commun : ils sont marginalisés.

Deux matinées par semaine sont consacrées au nettoyage et au verdissement. Les travailleurs reçoivent un salaire de 44$ pour quatre heures de travail payées le jour même. Trois organismes sont à l’origine du projet : la Table de quartier Hochelaga-Maisonneuve, Y’a quelqu’un l’aut’bord du mur (YQQ) et Dopamine, un centre de jour qui offre entre autres des services de soutien aux consommateurs de drogues. Les onze travailleurs de la Brigade verte fréquentent le centre et veulent adopter des habitudes de vie plus saines. «Différents groupes sociaux habitent la rue, des fois il y a des frictions et un des objectifs de la brigade est de créer des occasions de rencontre pour bâtir des ponts entre les populations», précise celui qui accompagne et supervise les travailleurs, Jérémy Hamel de l’organisme YQQ.

Sur Sainte-Catherine, entre les rues Moreau et Bourbonnière, des prostituées paradent en permanence, jour et nuit, 24 heures sur 24. «Ce sont les policiers qui leur disent d’aller sur la rue Sainte-Catherine si elles essaient d’aller travailler sur Ontario, c’est pour ça qu’elles sont toutes ici», explique l’un des travailleurs, Michel Lelièvre, tout en nettoyant le trottoir.

«J’ai vu des gars se faire passer à côté de moi à grands coups de pics dans le corps, les gardiens ça criait on s’en mêle pas»

L’homme de 59 ans, s’est fait arrêter au Nicaragua le 8 juin 2008 avec quelques kilos d’héroïne. Il devait faire 30 ans de prison mais en a purgé 5. Michel est revenu au Canada le 21 septembre 2013. «Les polices là-bas tuaient les détenus», raconte celui qui était alors sous la protection du consulat canadien. «Moi, les policiers et les gardiens de prison ne m’ont pas battu. J’ai appelé des journalistes et j’ai fait libérer 17 personnes arrêtées. Ensuite, j’ai passé à la télévision locale sur toutes les chaînes, où je dénonçais les pratiques policières. J’étais appelé le Canadien héros national», clame-t-il.

Si nombre de consommateurs sont malhonnêtes avec leur entourage, Michel s’en dissocie et prône l’honnêteté. «Je réalise que j’ai perdu beaucoup de mon temps dans la drogue. Avant le Nicaragua je travaillais pour les Hells, dévoile-t-il. De temps en temps encore, je fume un peu de crack ou du pot, mais pas trop, je fais trop d’introspection quand je suis là-dessus». En ce qui concerne l’alcool, Michel pouvait autrefois boire une caisse de 24 bières par jour. Maintenant il ne boit jamais plus de 15 bières par semaine. «Mon corps, je l’ai magané toute ma vie. Il est à peu près temps que je le laisse un peu tranquille et j’en prends soin», déclare fièrement Michel.

Au bout du tunnel

Un deuxième travailleur de la Brigade verte, Gilles Gauthier, s’est fixé des objectifs ambitieux. Il a suivi récemment une formation en lancement d’entreprise, son plan d’affaires est rédigé, et il serait éligible à un prêt de démarrage. «Je me donne un an pour lancer ma petite entreprise de montage numérique et j’espère pour le mieux», énonce-t-il.

Dans les années 1970, Gilles Gauthier négociait la première convention collective du journal Montréal-Matin avec Brian Mulroney. «C’était un privilège de travailler dans une salle de rédaction, il y a de l’action.»

Gilles habite présentement une chambre en attente d’un logement. S’il est aujourd’hui capable de contrôler sa consommation d’alcool, il a vécu de longues années difficiles. Après la fermeture du Montréal-Matin, journal où il était employé de 1972 à 1978, il a fait un baccalauréat en communication à l’UQAM. Après ses études, il a travaillé comme pigiste et contractuel pour des magazines et des publications syndicales. Il a aussi été éclairagiste pour le cinéma. L’incertitude du métier l’a fait plonger dans la dépression et la consommation. Un jour, il s’est blessé en tombant sur les trottoirs glacés de Montréal. En arrêt de travail, il s’est considérablement endetté et a déclaré une faillite personnelle. Comme si ce n’était pas assez, un incendie lui a fait perdre son logement; Gilles s’est alors retrouvé dans la rue. «Dans ma tête, tellement d’images passaient des belles années que j’avais connues, et là je me retrouvais parmi les itinérants», confie-t-il. C’est le virus de l’hépatite C qui a mis fin à la série d’évènements difficiles qu’il a vécue. Durant ses traitements, il a décidé de cesser sa consommation d’alcool, qu’il est aujourd’hui capable de tempérer.

Des projets comme la Brigade verte permettent à ces personnes marginalisées et éloignées du marché du travail de faire la transition vers une éventuelle réinsertion sociale. Pendant qu’ils œuvrent sur un tel projet, ils n’ont pas à mentir sur leur passé ou leurs habitudes de consommation, ils peuvent être honnêtes et s’entraîner à vivre plus sainement, en plus d’éviter le travail au noir. La Revitalisation urbaine intégrée (RUI) et la Table de quartier ont investi 20 000$ dans ce projet pilote de revitalisation. Active jusqu’à mi-novembre, la Brigade verte compte revenir au printemps.

Photos : Alexis Boulianne

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