Une révolution se profile à l’horizon dans le monde de la consommation culturelle québécoise. Par la création de ses propres plateformes de diffusion Web, la province espère revigorer son petit et son grand écran.
Avec son marché distinct du reste de l’Amérique du Nord, plusieurs amateurs de films et de séries télés souhaitent voir un équivalent au géant du Web Netflix faire son apparition au Québec. Au sein d’une industrie chancelante, les artisans de la télévision et du cinéma d’ici se font séduire tranquillement par les avantages du numérique. Les avis divergent cependant sur le réalisme d’une telle entreprise.
L’an dernier, la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) a créé un groupe de travail sur les enjeux du cinéma québécois. Les vingt membres, issus de différentes sphères du milieu, ont présenté un rapport en novembre avec des recommandations pour le cinéma d’ici. À la suite de son dépôt, l’expansion du nombre de films québécois sur les plateformes numériques apparaissait comme inévitable selon la présidente de la SODEC, Monique Simard. «Il est clair que la vie en salles d’un film n’est qu’une des nombreuses possibilités qui s’offrent à celui-ci désormais», croit-elle. Le groupe de travail propose la création d’un Netflix québécois dans un futur rapproché. «Une nouvelle plateforme ou une amélioration de l’offre parmi celles qui sont en place est inévitable si on veut aider notre cinéma», affirme-t-elle.
Plusieurs œuvres cinématographiques pourraient désormais sauter l’étape des salles de cinéma pour se retrouver directement sur un Netflix québécois, avance Monique Simard. «Certains films ne peuvent être appréciés pleinement que sur grand écran, mais certains n’y perdraient rien, soutient-elle. Les courts-métrages seraient grandement avantagés par une diffusion numérique étendue dans les prochaines années.» Fondateur de iCinéma, nouveau diffuseur numérique de films et de documentaires québécois, Denys Desjardins ne croit pas que les changements numériques de l’industrie affecteront la tradition d’une projection dans un cinéma. «La salle demeure le lieu public par excellence pour lancer un film, pour créer un buzz médiatique avec le tapis rouge», explique-t-il. D’après lui, les plateformes comme iCinéma servent à prolonger la vie d’une œuvre et sont une nouvelle alternative à la sortie en DVD.
Le Club Illico de Vidéotron, par sa variété de films locaux, se rapproche le plus des visées du groupe de travail de la SODEC. «Il y a une offre intéressante dans cette plateforme, mais on aimerait vraiment quelque chose qui rassemble tout le cinéma d’ici», affirme Monique Simard. iCinéma offre ses films québécois uniquement par des hyperliens redirigeant les auditeurs vers d’autres sites comme celui de l’Office national du film ou Youtube.
Les enfants de la télé
Contrairement à ses compétiteurs, Tou.tv offre pour l’instant gratuitement ses films et émissions. «On mise sur l’acquisition de contenu, la rediffusion et des webséries originales», énumère le directeur de la plateforme radio-canadienne, Jérôme Héllio. Le modèle des séries Web impressionne peu le chroniqueur artistique de La Presse, Hugo Dumas. «Je serais incapable de nommer des webséries québécoises qui ont été mémorables et qui ont connu un gros succès», affirme-t-il. Jérôme Héllio préfère relativiser la réussite de tels projets, convaincu de la belle performance des émissions de Tou.tv «Si je compare avec les autres compétiteurs, les nôtres marchent très bien, assure-t-il. En audition avec Simon a à elle seule obtenu 500 000 visionnements pendant ses trois années.»
Le 7 mars dernier, Tou.tv a officiellement annoncé la création d’une section Extra avec du contenu exclusif et payant. Le directeur de la plateforme numérique assure que la version actuelle conservera tous ses avantages. «On veut par contre bonifier l’offre et améliorer l’expérience en supprimant les publicités», explique-t-il. Gratuite pour les abonnés Telus et Rogers, le prix pour les autres est encore inconnu, bien qu’Hugo Dumas anticipe un tarif tournant autour de 10$. «Je suis sceptique. Pour payer plus de 100$ par année, il va falloir plus que des archives ou des nouvelles séries américaines, croit le chroniqueur. Il faudrait un House of Cards québécois et je ne crois pas que ça va arriver.» La production d’une télésérie diffusée uniquement sur Tou.tv est une possibilité envisageable dans le futur pour son directeur, mais pas à court terme.
Selon Monique Simard de la SODEC, le marché québécois se distingue assez des autres provinces pour se permettre la création d’une plateforme bien à lui. «Le nombre de séries originales et de films par rapport au Canada anglais n’est même pas comparable», remarque-t-elle. Le facteur linguistique pousse Hugo Dumas à la même conclusion. «Ce n’est pas la majorité de la population qui est bilingue, rappelle-t-il. Netflix n’offre pas une quantité phénoménale de contenu en français et ça limite sa portée ici.» En revanche, le Club Illico et Tou.tv n’offrent aucun contenu original anglophone à leurs abonnés.
Jérôme Héllio refuse de spéculer sur l’arrivée d’un Netflix québécois, mais pense que Tou.tv n’a rien à envier aux autres. «Avec notre offre de contenu, je suis convaincu qu’on comble les besoins des Canadiens francophones», déclare-t-il. La réalité économique freine les espoirs d’Hugo Dumas d’assister à l’émergence d’un Netflix québécois. «Il faut être réaliste, le marché est trop petit et on a de la misère à financer nos propres séries», remarque le chroniqueur. Dans une industrie où le futur est tout sauf programmé, le portefeuille du public des téléromans traditionnels ne sera pas sollicité… du moins pour encore quelques années.
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