Nouvellement appliquée, l’augmentation des frais d’entrée des artistes étrangers au Canada angoisse les propriétaires de scènes alternatives. Une chute des revenus se dessine à l’horizon.
Depuis le 31 juillet dernier, chaque artiste étranger doit verser une somme de 275 $ pour fouler les planches d’une scène canadienne. Ces frais supplémentaires acculent au pied du mur les propriétaires de bars, cafés et restaurants canadiens hôtes de spectacles du monde. Seuls les promoteurs indépendants doivent payer la note, laissant les grandes scènes comme celle du Centre Bell libres de toute obligation. «La scène musicale canadienne va souffrir de ces nouveaux frais», soutient le fondateur directeur du promoteur de concerts Indie Montreal, Jon Weisz.
Le montant supplémentaire, sollicité par le Programme des travailleurs étrangers temporaires, double ou quintuple les coûts selon le nombre d’artistes invités. Les frais s’appliquent à chaque employé nécessaire au déroulement du spectacle, du choriste au technicien sonore. Par exemple, un chanteur, quatre musiciens et un agent débourseront 2 550 $ pour performer dans des cafés musicaux comme la Casa del popolo. Avant l’imposition de nouveaux tarifs, un maximum de 450 $ pouvait être demandé à un groupe étranger, peu importe le nombre de musiciens. «Il est impossible de rentabiliser un spectacle de petite envergure avec de tels coûts», lâche le propriétaire de la compagnie de promotion de spectacles Blues Skies Turn Black, Meyer Dillurco. Dorénavant, les frais d’utilisation s’appliquent à chaque membre plutôt qu’à chaque demande par souci d’équité, selon le porte-parole des relations médiatiques du ministère de l’Emploi et Développement social, Éric Morrissette. Les salles de concert qui embauchent davantage d’artistes étrangers paieront plus, au contraire des petits demandeurs.
Jadis épongés par les citoyens grâce aux impôts, les frais de traitement d’une demande de permis de travail temporaire ont été transférés aux employeurs. «Nous espérons aussi que ça incitera les employeurs à éviter les demandes inutiles», ajoute Éric Morrissette. L’an dernier, 40 % des requêtes de travailleurs étrangers ont été rejetées par le gouvernement canadien.
Les nouvelles dispositions pourraient nuire également aux groupes autonomes émergents. «Les groupes en tournée aux États-Unis, qui auraient pu faire halte au Canada, éviteront la frontière à cause des coûts colossaux», estime le président du Réseau des Scènes Alternatives du Québec (RSAQ) et copropriétaire du Divan Orange, Lionel Furronet.
À l’avant-scène
Le gouvernement fédéral veut inciter les scènes alternatives à laisser plus de place aux artistes du pays. L’augmentation des frais, spécifique aux bars, cafés et restaurants qui présentent des spectacles, est le reflet de cette politique. «C’est une loi complètement absurde! Un artiste étranger permet à un, voire deux groupes canadiens de faire les premières parties, fulmine Lionel Furronet. En musique, personne ne vole l’emploi de personne.» Selon lui, sans les artistes internationaux, plusieurs groupes locaux n’auraient jamais eu la chance de se retrouver sous le feu des projecteurs.
Certains artistes sont exempts des 275 $ supplémentaires. Ils doivent faire partie d’une tournée canadienne à durée limitée. «Le gouvernement ne comprend pas le milieu culturel. Il pense que ça va aider la musique canadienne, mais ça ne l’aidera pas. Ça n’aidera personne», tranche le propriétaire de Blues Skies Turn Black, Meyer Dillurco.
Si l’impact des modifications reste flou, une diminution du nombre de spectacles pour les scènes marginales semble inévitable selon les promoteurs. L’an dernier, 6 310 artistes ont obtenu leur permis de travail au Canada. Avec les nouvelles dispositions tarifaires, ce nombre risque de chuter. «Une augmentation du prix des billets sera inévitable dans les rares salles alternatives qui pourront absorber les coûts, croit le fondateur directeur d’Indie Montreal, Jon Weisz. Les amateurs de musiques émergentes seront les grands perdants.»
Plusieurs pétitions circulent sur le Web pour éliminer les charges, dont l’une a déjà recueilli plus de 130 000 signatures. Les propriétaires de scènes indépendantes baignent dans un état d’incertitude, remarque Lionel Furronet. «J’espère que la mobilisation prendra de l’ampleur. De la pression doit être faite sur le gouvernement», souhaite Jon Weisz.
Les propriétaires sont d’accord: les tarifs instaurés par le gouvernement priveront le Canada d’une diversité artistique. Pour l’instant, les propriétaires de scènes alternatives retiennent leur souffle.
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Manque de transparence
L’augmentation des tarifs pour les artistes internationaux a été annoncée par communiqué de presse le 7 août 2013, une semaine après son entrée en vigueur. Trois semaines plus tard, le 28 août, le Calgary Herald dévoilait les tarifs spécifiques aux scènes alternatives, les plus affectées par les changements. Spencer Brown, organisateur de performances artistiques du Palamino Smokehouse, mettait au fait le monde médiatique. Lionel Furronet, propriétaire de la salle de spectacles le Divan Orange, a appris la nouvelle dans les pages du quotidien albertain comme la plupart des propriétaires de scènes marginales. «Ça a surpris beaucoup de monde. Nous n’avons reçu aucune information du gouvernement», s’offusque-t-il.
Crédit photo: Martin Martel
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