Tout aussi susceptibles que le reste de la population de devenir des joueurs compulsifs, les étudiants sont parfois marginalisés par les organismes d’aide.
Dimanche soir, Marc-André s’ennuie. Aucun de ses amis ne veut sortir et sa nouvelle copine est partie avec ses amies. Avec du temps et de l’argent en poche, Marc-André file au casino une fois de plus. Au début de la vingtaine, l’étudiant en communications à l’UQAM se retrouve ainsi plongé dans la spirale infernale du jeu excessif. Conscient de son problème, il peine à trouver de l’aide pour sa dépendance en raison de son statut d’étudiant.
Tout aussi susceptibles de développer une dépendance que les adultes, les étudiants sont nombreux à grossir les rangs des joueurs compulsifs selon le professeur à l’École de travail social de l’UQAM, Amnon Jacob Suissa. «Nous sommes tous candidats pour développer une dépendance au jeu, explique-t-il. C’est dans un contexte de plus grande vulnérabilité qu’elle apparaît.» À ses yeux, l’insécurité causée par l’entrée à l’université ou un problème dans la vie personnelle sont suffisants pour ébranler la santé psychologique de n’importe quel étudiant.
Comme bien d’autres jeunes hommes de son âge, Marc-André a commencé par jouer entre amis au poker, en misant à coup de 10$ ici et là, lors de soirées amicales. Puis, il a commencé à s’intéresser à la logique et aux mathématiques derrière le jeu. «Je développais des stratégies de mises et je comptais dans ma tête», dit-il honnête. En jouant 40 heures par semaine, Marc-André croyait pouvoir devenir millionnaire dans l’année. «Dans ma tête, je venais de trouver une carrière.»
Marc-André avait même créé un simulateur de jeu, puisqu’il estimait qu’il était mathématiquement impossible de perdre plus de six ou sept fois de suite à la roulette. L’expérience lui a prouvé qu’il pouvait perdre jusqu’à 13 fois de suite. Malgré ces preuves, Marc-André s’inventait encore plus d’excuses pour jouer. Certains soirs, il a perdu plusieurs centaines de dollars. Un dur coup sur son porte-monnaie d’étudiant.
Malgré son emploi étudiant d’une vingtaine d’heures, Marc-André mentait à sa famille et ses amis pour cacher ses pertes d’argent. Pour lui, les mensonges qu’il disait pour cacher son problème servaient un rêve plus grand, celui de devenir riche.
Conscient qu’il avait un problème important de dépendance au jeu, Marc-André a tenté d’aller chercher de l’aide auprès de l’organisme Mise sur toi. Il s’est cependant senti marginalisé par l’intervenant de l’organisme. «Il ne m’a pas pris au sérieux, parce que je n’ai pas d’enfant et que je vis chez mes parents, croit Marc-André, désillusionné. Comme je ne jouais pas des montants exorbitants, il ne trouvait pas que c’était problématique.» Selon lui, l’organisme aurait dû s’occuper de lui aux premiers symptômes, alors qu’il n’avait pas encore perdu de grandes sommes d’argent.
La directrice du Centre d’écoute et de référence de l’UQAM, Stella Kukuljan, croit que l’intervenant de Mise sur toi a manqué de professionnalisme dans le dossier de Marc-André. «Vous ne pouvez pas diagnostiquer quelqu’un après lui avoir parlé au téléphone», désapprouve Stella Kukuljan. Elle précise cependant que Mise sur toi est une fondation et non un organisme. Selon elle, Marc-André aurait donc du appeler ailleurs, par exemple à la maison de réadaptation Jean-Lapointe.
Devant l’échec de sa démarche avec Mise sur toi, Marc-André ne savait plus vers qui se tourner. Honteux de son problème, l’étudiant n’a pas osé en parler à sa famille, qui n’est toujours pas au courant du problème qu’il a vécu aujourd’hui. Il craignait d’être jugé pour s’être laissé prendre aux «stupidités» du jeu. «Avec le recul, je réalise que mes pertes auraient dû me servir de leçon, avoue-t-il candidement. Mais la seule chose à laquelle je pensais était que je n’avais pas amené assez d’argent pour gagner.»
Lorsque le jeu consume tout
La dépendance provoque souvent l’isolement des joueurs compulsifs selon la directrice du Centre d’écoute et de référence de l’UQAM, Stella Kukuljan. «Les personnes qui sont dépendantes passent la majorité de leur temps à chercher de quelle façon elles peuvent assouvir leur besoin, affirme-t-elle. À cause de ça, elles vont laisser de côté leurs études et leur famille.»
Une étude sur le jeu excessif de Statistique Canada effectuée en 2002 montre que 1,2 million de Canadiens sont des joueurs excessifs. Amnon Jacob Suissa estime que la technologie, qui rend le jeu en ligne très accessible, cause énormément de dégâts auprès des jeunes adultes.
Marc-André a décidé d’aller chercher de l’aide à nouveau lorsque sa nouvelle copine a commencé à avoir des soupçons. Celle-ci lui a fait réaliser son problème, alors qu’il avait visité le casino quatre soirs de suite et avait perdu plus de 120$. «Je suis quelqu’un d’assez extrême dans la vie, je coupe tout d’un coup, admet le jeune homme avec recul. Je ne croyais pas qu’une désintox progressive fonctionnerait.» Du jour au lendemain, il a cessé d’aller au casino et a fermé tous ses comptes de jeu en ligne.
Malgré sa décision, Marc-André continue à jouer de très petites sommes avec des amis au poker, de temps en temps. «Depuis quatre mois maintenant, je n’ai pas joué un cent, même à la loterie, affirme-t-il avec aplomb. Je sais que je ne pourrai jamais retourner au casino.»
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L’UQAM offre quant à elle de l’aide aux joueurs via le Centre d’écoute et de référence. «Quand les étudiants viennent pour parler d’une problématique par rapport au jeu, habituellement ce n’est pas encore trop tard», soutient la directrice du centre, Stella Kukuljan.
Nombreux sont ceux qui consultent pour une tierce personne. «On peut donner des références, mais c’est la personne concernée qui doit prendre la décision de s’aider, indique Stella Kukuljan. On ne peut pas obliger personne à être aidé.» La directrice précise cependant que le Centre offre de l’écoute, mais réfère à divers organismes pour le suivi.
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