Le temps de l’espérance politique est révolu, croient certains étudiants. Après le printemps érable, le Québec connait son été électoral, au cours duquel les anarchistes révoltés banniront les urnes.
Sur la terrasse d’un café, Lorraine*, étudiante en communications à l’UQAM, esquisse un sourire franc lorsqu’elle discute de ses visions politiques. L’étudiante engagée s’est souvent retrouvée au front des manifestations, dans le feu de l’action. Désabusée par le parlementarisme, elle s’en prend aux banques et au gouvernement. Elle envisage un monde où les rêves s’émancipent par le pouvoir du peuple.
«Je n’irai pas voter», lance- t-elle. Son «camarade» Jonathan Allard, étudiant à la maîtrise en sciences politiques de l’UQAM, est du même avis. «Je ne veux pas m’isoler dans un petit cube et individuellement, choisir notre avenir». L’homme révolté d’Albert Camus à la main, Jonathan refuse aussi de quitter la rue, ce qui, selon lui, couperait l’herbe sous le pied de la contestation populaire. «En mai 1968, en France, Charles de Gaulle a tué le mouvement étudiant avec des élections», compare-t-il.
La philosophie anarchiste veut que la transformation de la société passe par l’abolition de l’État et de toute contrainte sociale, au nom d’une démocratie directe. «L’état n’est pas neutre dans la société. Il est l’instrument de la classe dominante et des intérêts capitalistes, avance Éric Martin, étudiant de la pensée politique au doctorat en sciences politiques à l’Université d’Ottawa. Les anarchistes voient le parlementarisme comme une sorte de mascarade qui justifie la domination de la bourgeoisie sur le prolétariat, du capitalisme sur la société.» Cette pensée s’est ébruitée avec l’émergence du mouvement altermondialiste. «Les manifestations de Seattle, en 1999, ont emmené la recherche d’un mode d’organisation social plus horizontal», poursuit Éric Martin. D’après lui, le manifeste de l’altermondialisme de Porto Alegre, intitulé Douze pro- positions pour un autre monde possible, a attisé le mouvement de contestation, favorisant le regroupement par réseaux dans le monde afin d’abolir les instances parlementaires.
Refusant de jouer le jeu d’un système qui ne permet pas l’expression d’une «réelle démocratie», les anarchistes s’entendent, à quelques exceptions historiques près, pour s’abstenir de voter. Cyniques? Marc-André Cyr, anarchiste et historien des mouvements sociaux du Québec, croit qu’au «contraire, ce choix politique fait preuve d’une grande lucidité». Selon lui Québec Solidaire (QS) est le parti qui se rapproche le plus des convictions anarchistes. À son avis, il ne prendra jamais le pouvoir. «Et plus ils vont s’en approcher, plus le pouvoir du peuple sera dilué, croit-il. Les machines parlementaires, médiatiques et économiques sont plus fortes que leur catalogue de bonnes intentions.»
Amir Khadir, candidat de QS dans Mercier, organise à l’occasion des assemblées citoyennes. Mais ce n’est pas suffisant pour que Marc- André Cyr se déplace dans un bureau de vote, le 4 septembre prochain. «C’est un parti politique!» En 1994, le Parti québécois avait organisé des consultations citoyennes à micro ouvert sur l’avenir du Québec. «Le projet est resté sur les tablettes, car Québecor et les banques sont encore là pour faire des pressions économiques sur les gouvernements», renchérit Marc-André Cyr. Il est d’avis que la famille étatique et parlementaire est implantée de telle façon que les gens ne pourraient pas faire appliquer les propositions faites en assemblées. «On finit toujours par se retrouver le bec à l’eau, car la mécanique structurelle et la culture politique empêche le changement.»
«Ce n’est pas que de ne pas aller voter affaiblit une structure politique. Au contraire, ça la rend plus autoritaire, explique le doctorant Éric Martin. Selon lui, il faudrait articuler les deux bouts de la stratégie pour faire avancer la démocratie. «Le système parlementaire est encore là et on n’est pas encore rendu dans la société idéale, soutient-il en incitant au vote. Il y a des moments où, pour faire des gains à court terme, il faut se salir les mains.»
Et si les libéraux se retrouvent une fois de plus au pouvoir cette année? «Seuls ceux qui votent pour lui sont responsables de son élection et non l’inverse, croit Marc-André Cyr dur comme fer. Ce sont à ceux qui votent de prouver aux abstentionnistes que leur action va vraiment transformer la société.»
*Nom fictif
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La machine électorale
Au Canada comme au Royaume-Uni, le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour est en vigueur, inchangé depuis plus d’une centaine d’années. Ce système parlementaire britannique réputé pour sa simplicité prévoit qu’un candidat ayant récolté le plus de voix dans sa circonscription l’emporte, même si celui-ci n’a pas été élu à majorité. Au Québec, Jean Charest a été élu majoritaire en 2008 avec 24% des électeurs inscrits au registre de la Direction général des élections du Québec. Au Canada, Stephen Harper a séduit 33% des électeurs.
Pour favoriser des élections plus représentatives et délégitimiser le vote stratégique, des militants pour la réforme proposent l’instauration de la «proportionnelle», soit l’attribution du nombre de sièges à des partis selon le pourcentage des votes obtenus. «Ils proposent aussi un scrutin à double tour, pour l’élection d’un gouvernement majoritaire avec 50+1% des voix, comme en France et aux États-Unis», explique Jonathan Allard, étudiant à la maîtrise en sciences politiques de l’UQAM.
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