En sabrant dans les programmes de subventions, le gouvernement conservateur a donné des sueurs froides aux producteurs artistiques d’ici. Trois ans plus tard, la culture québécoise à l’étranger part en fumée.
À l’hiver 2006, dans la grande salle du théâtre Am Stram Gram de Genève, en Suisse, le metteur en scène montréalais Daniel Meilleur et sa troupe du théâtre Les Deux Mondes recevaient un accueil chaleureux pour leur pièce Mémoire vive. Devant ce concert d’applaudissements, ils étaient loin de se douter qu’ils devraient dorénavant faire feu de tout bois pour percer à l’international. Plus qu’une douche froide, les coupures en culture du gouvernement de Stephen Harper menacent aujourd’hui le rayonnement des productions québécoises à l’étranger.
«Bon an mal an, nous faisions 90 représentations, note le directeur général du théâtre Les Deux Mondes, Pierre Macduff. Depuis que nous n’avons plus les subventions de PromArt, ça a diminué de moitié.» Les programmes de soutien PromArt et Route commerciales, destinés à promouvoir la culture d’ici à l’étranger, bénéficiaient respectivement de 4,7 M$ et 9 M$ par année en subventions. En 2008, le gouvernement conservateur signait leur arrêt de mort en coupant 45 M$ dans la culture. Remis aux différentes compagnies de productions artistiques, le plus souvent dans les secteurs de la danse, du cirque et du théâtre jeunesse, cet argent servait à pallier les coûts de transport, jusqu’à concurrence d’environ 10% à 20%.
Pour le théâtre Les Deux Mondes, les coûts d’une tournée d’un mois en France atteignent environ 150 000 $. L’aide accordée par l’État pour un tel voyage était de 14 000 $. Cette subvention payait le transport outremer des personnes et des décors, alors que les diffuseurs étrangers assumaient les frais d’hébergement et de transport local.
«Ces sous nous servaient à réduire la facture des diffuseurs», précise le vice-président des opérations au cirque Éloize, Jonathan St-Onge. Utilisée comme un rabais, cette aide gouvernementale permettait de séduire les marchés étrangers, d’appâter les diffuseurs internationaux. «Ça leur évitait de payer le transport outremer. Maintenant, ça demande beaucoup plus d’efforts de notre part pour percer les marchés extérieurs», regrette l’avocat de formation.
Briser son cochon
Si certaines grosses compagnies, comme les Grands Ballets Canadiens, ont pu s’en tirer grâce à des commanditaires privés, la plupart des petites et moyennes entreprises de productions artistiques ont dû appliquer un coup de frein à leurs rêves d’expansion. D’après la directrice générale de l’association Théâtres Unis Enfance Jeunesse (TUEJ), Danielle Bergevin, plusieurs projets ont été mis sur la glace après 2008. «Certains ont revu complètement leur calendrier, alors que d’autres ont même été forcés d’annuler certaines tournées», déplore-t-elle. Les spectacles pour lesquels les contrats étaient déjà signés ont eu lieu, mais les entreprises ont été obligées de piger dans leur budget de fonctionnement pour compenser les coupures du gouvernement fédéral. Des salaires qui stagnent aux choix artistiques plus contraignants, des remaniements administratifs aux coupures de postes, les compagnies de production ont dû rogner considérablement pour survivre.
Pierre Macduff du théâtre Les Deux Mondes explique que son équipe et lui ont choisi de changer la nature de leurs spectacles, d’aller vers des formes artistiques plus légères – donc moins onéreuses à exporter. Avant de briser sa tirelire, la directrice générale du théâtre Le Clou, Isabelle Boisclair, a préféré pour sa part augmenter le prix des spectacles. «Ça tombait cependant bien mal, avec la crise économique en France…» avoue-t-elle, visiblement déçue. Pas le choix: elle aussi a été forcée de puiser dans les enveloppes de fonctionnement et de restructurer ses effectifs.
Ici comme ailleurs
Alors que l’Europe s’engouffre dans la crise économique, plusieurs pays tranchent dans la culture. «Il y a une conjoncture et on ne peut pas dire que la situation s’améliore, indique Pierre Macduff. Ces facteurs extérieurs ont aussi une influence sur les tournées québécoises à l’international.» À ses yeux, il y a encore un vif intérêt de la part des diffuseurs étrangers pour les productions d’ici. «Il faut seulement être plus patient. Les négociations prennent plus de temps qu’avant.»
Pour obvier au tarissement de la culture québécoise à l’étranger, le gouvernement du Québec, via le Conseil des arts et des lettres, a débloqué en 2010 une enveloppe budgétaire de 9 M$. Ce coup de pouce aurait permis, selon Danielle Bergevin de chez TUEJ, d’absorber un pourcentage du manque à gagner au cours de cette année. «L’aide était surtout apportée au secteur de la danse, puisqu’elle était sur la ligne de feu», nuance Pierre Macduff, du théâtre Les Deux Mondes. Les débouchés nationaux, en danse, sont négligeables; le marché est presque entièrement dédié à l’international.
«Les neuf millions n’ont donc pas compensé totalement», ajoute le directeur. Pour rester sous les feux de la rampe à l’étranger, les compagnies de productions artistiques devront continuer de souffler sur les braises.
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