Je me lance en l’air. Me lance en affaires. M’en vas vendre de l’air. Dans une bouteille en sphère, un flacon en verre. Bouteille verte pis toute. 5% des ventes pour la Terre, les enfants de la Sierre Leone ou du Niger. M’a vendre de l’air. De l’air propre de Bavière, de l’île d’Amsterdam ou de la troposphère. De l’air pur, de l’air qui régénère.
Qui va en acheter? Vous, moi et nous, si on se fi e au quelque milliard de bouteilles d’eau vendues tous les ans au Québec. «Mais de l’eau, y’en n’a pas partout… faut bien la transporter?» À part pour quelques sherpas des Montérégiennes et randonneurs aventureux, oui, de l’eau potable, il y en a partout. Apportez-vous un petit pot-pipi de peur qu’aucune toilette ne croise votre chemin dans la journée? S’il y a une toilette, il y a de l’eau potable.
L’air vendu sera facilement transportable.
Mais l’industrie de l’eau embouteillée a réussi comme personne à vendre du vide à la tonne. À mon sens, c’est l’ultime consécration de la société de consommation. Car, contrairement à la France, par exemple, qui paie son eau, l’eau publique du Québec est rarement consommée, mais plutôt reléguée à de seconds rôles. Rincer du fromage rebelle dans la poêle, recevoir nos fluides et excréments, laver nos pieds sales: l’imaginaire du robinet est à mille aqueducs de la fontaine de Jouvence.
Il faudra nous dégoûter de l’air public.
L’eau à boire, c’est celle qui s’achète, qui se décapsule, qui est plastifiée. Je ne parle pas d’écologie ou de greenwashing. Mais de consommation. Si forte est la consommation qu’elle déjoue même les règles économiques de base: coût d’option, courbe de l’offre et de la demande, etc. Pour produire 1 litre d’eau privée, le processus de transformation (!) nécessite environ 3 litres d’eau publique.
Il faudra prendre trois respirations pour en donner une.
Parlons encore de marché classique. Les économistes s’entendent généralement pour dire qu’un produit de qualité supérieure offert au même prix qu’un produit de moins bonne qualité trouvera davantage d’acheteurs. Si on vous donne le premier produit, et qu’on vous vend un litre du second 4 344 335 335 plus cher + 1, 50$, les consommateurs devraient, ceteris paribus (le latin, ça fait sérieux, non?), préférer la gratuité. Mais nous ne savons pas que les normes de qualité de l’eau embouteillée sont moins strictes que celles de l’eau potable. Une étude publiée par Environmental Working Group en 2008, démontrait que l’eau du robinet était aussi pure, sinon plus, que l’eau embouteillée, laquelle contient plusieurs contaminants.
Il faudra que la qualité de l’air soit moyenne et coûte assez cher pour inspirer la confiance.
Ah, bien sûr, il y a la question du goût! 30 minutes au réfrigérateur. C’est la solution. Le chlore contenu dans l’eau du robinet s’évapore dans l’air.
Merde, dans l’air!
L’autre grande connerie de l’eau embouteillée: le Québec est un des rares pays où l’eau du robinet coule en abondance, en qualité et en gratuité. C’est comme si des Suisses achetaient de l’air embouteillé pendant que les mineurs, les travailleurs de Mexico ou les hibakusha s’empoisonnent tranquillement les poumons.
La clientèle cible de l’air encapsulée sera aisée et éduquée.
Voilà, le plan est clair. Je me lance en l’air. Me lance en affaires. M’en vas vendre de l’air. Dans une bouteille en sphère, un flacon en verre. Bouteille verte pis toute. 5% des ventes pour la Terre, les enfants de la Sierre Leone ou du Niger. M’a vendre de l’air. De l’air propre de Bavière, de l’île d’Amsterdam ou de la troposphère. De l’air pur, de l’air qui régénère.
M’en vas devenir millionnaire.
Charles-Éric Blais-Poulin
Chef de pupitre Société
www.jeu-aidereference.qc.ca
societe.campus@uqam.ca
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