Mères aux commandes

La vie des mères monoparentales est souvent semée d’embûches. Lorsqu’elles se sentent dépassées, l’organisme Mères avec pouvoir leur offre du soutien et les aide à élaborer un «projet de vie».

Nathalie avait à peine 13 ans lorsque ses parents l’expulsent du domicile familial. Elle fuit ensuite sa famille d’accueil et se retrouve à la rue, où elle passera près de 10 ans. Vivant dans les squats, la drogue devient son seul exutoire, jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte de sa fille Sabrina. Un moment décisif pour la jeune femme, qui décide de se reprendre en main avec l’aide de Mères avec pouvoir (MAP).

Depuis 2001, l’organisme montréalais aide les mères monoparentales à devenir autonomes en se dotant d’un «projet de vie». Pour améliorer leurs chances de réussir, MAP leur offre un loyer à prix modique et de l’encadrement. Les deux intervenantes, qui sont toujours présentes sur les lieux, utilisent une approche «d’autonomisation», ce qui implique des actions mises en œuvre par et pour la mère. «Nous essayons de faire en sorte qu’elles soient le plus actives possible dans leurs démarches», explique Diane St-Cyr, intervenante à MAP depuis cinq ans.

Aujourd’hui, Nathalie mène une vie beaucoup plus stable, aux côtés de sa fille Sabrina, âgée de cinq ans. «Avant, j’habitais l’autre côté de la rue, dans les appartements de Logis phare, un organisme qui s’occupe des gens sur la méthadone (un narcotique synthétique souvent utilisé pour sevrer une dépendance à l’héroïne). À MAP, ce qui fait la différence, c’est que c’est beaucoup plus axé sur le projet de vie.» Elle s’interrompt un instant pour gronder affectueusement sa fille, débordante d’énergie, parce qu’elle s’agite un peu trop. Rieuse, la maman fait une grosse grimace – en laissant entrevoir un piercing à la langue – et enlace la fillette avant de poursuivre. «Les gens sont très ouverts et les discussions avec nos intervenantes ne sont pas excessivement formelles.» Évidemment, vivre avec trente autres femmes a également ses désavantages. «Je ne viens pas de ce monde-là moi», avoue Natalie, en parlant de l’hypocrisie féminine avec laquelle elle doit parfois vivre. «Il y a toujours des potins, du chialage, de l’immaturité. Ici, tout se sait», ajoute- t- elle, sa voix enterrée par les cris des enfants qui jouent dans la cour.

Face à face avec la réalité
Au Québec, une famille sur quatre est monoparentale, et 80% d’entre elles ont des femmes comme chef de famille. Depuis dix ans, MAP s’acharne donc à «briser le cercle vicieux de la pauvreté» et donner un exemple positif aux enfants, comme l’explique Diane St-Cyr. À l’heure actuelle, 46,9% des mères monoparentales du Québec, ont de faibles revenus.

Le MAP s’est associé avec d’autres organismes du quartier pour encadrer les mamans. Ainsi, l’organisme Inter- loge leur propose des logements à prix modiques, qui sont subventionnés par l’Office municipal d’habitation de Montréal. Pour pouvoir signer un bail, les mères monoparentales doivent avoir un revenu de moins de 29 500 $ par année. À la base, un contrat peut être renouvelé trois ans de suite, mais il est possible d’allonger le séjour jusqu’à un maximum de cinq ans. «Une mère à son affaire peut changer énormément de choses en trois ans», assure Diane St-Cyr. Depuis 10 ans, le pourcentage du nombre de familles monoparentales québécoises a augmenté d’environ 6%. Il y a donc énormément de demandes d’adhésion, puisqu’à MAP, la liste d’attente d’un logis est d’un an et demi. Les mères ont aussi accès aux services des centres de la petite enfance qui jouxtent les appartements. Les intervenantes de MAP peuvent ainsi travailler avec la mère et l’enfant, en même temps.

Marie-Claude, maman d’un petit garçon de 3 ans prénommé Charles est l’une de ces mamans qui ont bénéficié de l’accompagnement de MAP. Dès son plus jeune âge, son fils a éprouvé des problèmes de croissance et d’orthophonie. Les rendez-vous médicaux n’en finissaient plus. Mais avec l’aide de l’organisme, Marie-Claude a pu compléter une formation d’auxiliaire familiale et a même réussi à obtenir son permis de conduire, ce qui lui a grandement simplifié la vie.

Aujourd’hui enceinte jusqu’aux oreilles pour une deuxième fois, elle a réussi à atteindre une certaine stabilité, bien qu’elle entretienne une relation atypique avec le père de ses enfants. Maintenant, elle prend un peu de temps pour souffler avant la naissance de Ludvic, dans moins d’un mois. «J’aimerais tellement accoucher là, maintenant!» confie-t-elle en mangeant des cubes de glaces, un vrai pêché mignon selon elle. Dans environ un an, Marie- Claude et sa petite famille devront toutefois déménager. Elle aimerait beaucoup partir très loin de la ville, pour aller travailler en région.

Natalie prévoit également aller vivre en dehors de Montréal. «J’aimerais aller sur la Rive-Nord, pour me rapprocher de la famille avec ma petite. J’ai tout pardonné; je parle à mon père depuis la naissance de Sabrina et tout récemment j’ai repris contact avec ma mère.» Elle ne sait pas encore combien de temps elle restera dans les logements à MAP, puisqu’elle réoriente sa carrière. Dans le passé, elle a entrepris deux formations professionnelles, mais elle a dû les abandonner. Bien qu’elle n’ait pas d’emploi pour le moment, elle travaille fort à l’obtention de son permis de conduire.

Manque de ressources
Dernièrement, une étude a été conduite afin de connaître le taux de réussite de l’organisme. Les résultats de leur approche globale est très positive. Entre les années 2006 et 2009, le taux de réussite socio- professionnelle des femmes a ainsi atteint 85%. «Même si certaines d’entre elles ne réussissent pas leur projet de vie, elles sortent d’ici avec un énorme bagage en plus et beaucoup d’acquis», soutient-elle.

Mais MAP n’a pas toujours les moyens de ses ambitions. «Nous sommes toujours en train de faire des demandes de subventions au gouvernement, admet Diane St-Cyr. Notre clientèle a des besoins trop diversifiés. Nous avons des femmes avec des passés de toxicomane, de violence conjugale, de santé mentale.» Le problème selon elle, c’est que le ministère a des critères de financement très précis et que MAP n’entre dans aucun modèle en particulier. «Une catégorie me réfère à une autre plus appropriée à mes besoins et ainsi de suite», déplore l’intervenante. C’est ce qui explique la précarité de l’organisme, même après dix ans d’existence.

Diane St-Cyr a donc comme objectif d’obtenir une subvention afin d’assurer la survie de MAP et dans un avenir rapproché, de «faire grossir la machine».

***

Critères d’admission
À MAP, les candidates sont triées sur le volet. Elles doivent poser leur candidature et passer des entrevues afin de s’assurer qu’elles cadrent bien avec la mission de l’organisme. La mère doit évidemment être monoparentale et avoir à sa charge un enfant de cinq ans ou moins. La femme ne doit pas être enceinte au moment où elle fait application. De plus, il est très rare que l’organisme choisisse des mères qui ont des diplômes universitaires. La motivation d’accomplir son projet de vie doit également primer sur tout le reste.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *