Parachute doré

Être recteur est un métier ingrat. Vous êtes toujours critiqué par les étudiants, votre photo est savamment ridiculisée sur les affiches de manifestants, vous êtes fustigé pour votre salaire et, malgré vos hauts cris, votre université est systématiquement sous-financée. Qui voudrait subir tous ces inconvénients? Pourtant, chaque fois qu’un poste de recteur est vacant, les candidats sont toujours nombreux à postuler.
 

Il faut dire que malgré les affres de la vie publique, le rectorat comporte ses avantages. En effet, le salaire demeure concurrentiel dans la majorité des universités, vous avez droit à plusieurs voyages gratuits, en plus d’une voiture de fonction. Et, la cerise sur le sundae, même si vous quittez en plein milieu de votre mandat, vous avez droit à une intéressante prime de départ! Contrairement aux députés, vous n’avez même pas à faire de porte-à-porte pour vous faire élire. Quoi de mieux?
 
Judith Woodsworth, nouvelle retraitée de l’Université Concordia, où elle a brièvement dirigé la destinée de la cousine anglophone de l’UQAM, a démissionné le 22 décembre passé. L’ancienne rectrice de l’Université Laurentienne, de 2002 à 2008, touchait la coquette somme annuelle de 350 000 $ depuis son entrée en fonction en novembre 2008. Deux ans plus tard, elle quitte son poste et reçoit 703 500 $ en indemnité de départ. Mais si on compare cette prime au 1,3 million qu’avait touché son prédécesseur Claude Lajeunesse, le parachute doré de Mme Woodsworth semble bien chiche.
 
Les motifs de ce départ demeurent nébuleux. L’Université Concordia évoque des «raisons personnelles», tandis que les rumeurs de congédiement se multiplient dans les médias. En effet, Judith Woodsworth semblait avoir un sens de l’éthique assez élastique. D’après le Journal de Montréal, l’ancienne rectrice de l’Université Concordia aurait assisté aux Jeux Olympiques de Vancouver avec son mari sur le bras de l’entreprise Bell. Quelques mois plus tard, le géant des télécommunications décrochait un contrat de 900 000 $ avec l’Université. De plus, sa voiture de fonction, une rutilante A4, était louée d’une entreprise appartenant à un autre membre du CA de Concordia. Le président du CA de l’Université, Peter Kruyt, maintient toutefois que ces quelques entorses éthiques n’ont rien à voir avec le départ de la rectrice.
Et priment les primes
Les universités québécoises gèrent des centaines de millions de dollars en fonds publics. Ils ont de plus la responsabilité de fournir une éducation de qualité aux étudiants qui les fréquentent. Dans notre société où l’offre et la demande font foi de tout, il est normal que les salaires de ces dirigeants correspondent à leurs compétences. Les conséquences d’une mauvaise gestion, comme en fait foi le dossier de l’Îlot voyageur, peuvent s’avérer désastreuses pour une université – et très coûteuses pour les contribuables. Bref, malgré toutes les critiques qu’il subit, le recteur de l’UQAM, Claude Corbo mérite certainement les 180 000 $ qu’il gagne. L’Université du peuple peut même se compter chanceuse qu’il ne reçoive pas 365 000 $ comme son confrère Guy Breton de l’Université de Montréal, ou 358 000 $ comme sa collègue Heather Munroe-Blum de l’Université McGill.
 
Même si cela est monnaie courante dans la plupart des entreprises, le concept du parachute doré me pue au nez. Pourquoi un haut dirigeant, peu importe la raison de son départ, toucherait-il l’équivalent d’un an de salaire? Pourquoi Judith Woodsworth, après deux ans à la tête de l’Université Concordia, bénéficie-t-elle d’une compensation de deux ans de salaire, sans que le CA n’ait à expliquer la raison exacte de son départ? Pourquoi Roch Denis, l’ancien recteur de l’UQAM, qui a été sévèrement blâmé par le Vérificateur général dans sa gestion du dossier de l’Îlot voyageur, a-t-il pu toucher une indemnité de départ de 173 000 $ en 2007?
 
Si les universités ne récoltaient le moindre sou des contribuables, les primes des hauts dirigeants ne me feraient aucun pli. Sauf qu’il s’avère que l’ensemble de la population finance les universités québécoises. Malgré toute la pertinence de leur plaidoyer envers un meilleur financement des universités, les recteurs se peinturent dans un coin en obtenant de tels parachutes dorés.
 
Louis-Samuel Perron
uqam.campus@uqam.ca

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