Le théâtre de marionnettes québécois en plein essor
Le théâtre de marionnettes québécois vit une effervescence peu commune dont les échos traversent les frontières. Sur l’épitaphe des Bibis et Bobinettes de ce monde, les marionnettistes explorent leur liberté et redéfinissent les règles d’un théâtre nouveau.
Des dizaines d’enfants geignards enterrent une femme éreintée par son rôle captif de mère. La lumière vacille dans le salon voisin pendant qu’un homme au visage triste tape inlassablement sur une machine à écrire. Des spectacles comme La vie fragile des êtres sales de la troupe Vis Motrix témoignent de la vivacité des compagnies québécoises qui relèguent au grenier les chignons en plastique vert et les châteaux de carton. La marionnette explore maintenant ses propres limites et dépasse même les frontières du pays.
De plus en plus, le théâtre de marionnettes québécois sait s’imposer comme une référence en matière de création. Si les pays de l’Europe de l’Est possèdent déjà leur propre tradition, celle du Québec reste encore à faire. Mais ce n’est qu’une question de temps, selon Marthe Adam. Celle qui dirige le diplôme en études supérieures spécialisées en théâtre de marionnettes de l’UQAM se passionne depuis 32 ans pour l’art du mouvement. Ses grands yeux cerclés de lunettes colorées s’illuminent lorsqu’elle explique le renouveau que connaît la discipline. «On est en train de créer une tradition de marionnettes québécoises depuis plusieurs années. Il n’y a plus de limites.»
Au Théâtre de la Pire Espèce, la recherche de nouvelles formes d’interprétation et de manipulation est au cœur de leur démarche. Le codirecteur artistique de la compagnie, Olivier Ducas, parle avec volubilité de leur spectacle Ubu sur la table. «Notre écriture est elliptique. Tout n’est pas raconté. Dans le spectacle, les acteurs sont en interaction ensemble, mais aussi avec les objets, qui dialoguent entre eux. Le public peut regarder où il veut et faire le montage qui lui plaît avec ses yeux.» Le Théâtre de la Pire Espèce s’inscrit donc en plein dans ce qu’il qualifie de «belle époque pour la marionnette». Mais la réinvente-t-il? «On essaie de le faire! Se libérer des traditions pour créer autre chose… N’est-ce pas l’histoire des Amériques?» lance-t-il en riant.
Le codirecteur de Vis Motrix – une compagnie de théâtre de marionnettes à tendance anarchique –, David Magny, se réjouit quant à lui de voir à quelle vitesse s’est développé le théâtre de marionnettes québécois dans les dernières années. «On a écrit en dix ans autant de pages dans l’histoire de la marionnette québécoise que pendant les trente années précédentes.» Il croit aussi que la liberté dont jouissent les créateurs y est pour quelque chose. «Quand on va à l’étranger, on se fait dire qu’on est chanceux au Québec parce qu’on peut faire n’importe quoi, n’importe comment. Il n’y aura pas de vieux de 90 ans qui va venir te taper sur les doigts pour te dire que ce n’est pas comme ça qu’on fait de la marionnette! blague-t-il. De toute façon, ici, il n’y a pas de vieux marionnettiste de 90 ans.»
Ces nouvelles formes permettent aux marionnettistes québécois de se démarquer sur la scène internationale. Selon Marthe Adam, la première cohorte uqamienne diplômée l’an dernier a su faire ses preuves. «En 2009, quatre groupes d’étudiants ont été sélectionnés pour participer au Festival mondial de théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières, l’un des festivals les plus prestigieux au monde. Ils ont été très bien reçus.» La présidente de l’Association québécoise des marionnettistes (AQM), Hélène Ducharme, assiste aussi depuis plusieurs années au rayonnement des marionnettistes québécois à l’étranger. Elle admet que l’accueil qui leur est réservé sur la scène locale et internationale est loin d’être le même. «Plusieurs compagnies, surtout en marionnettes pour adulte, se produisent partout dans le monde. Quand les compagnies arrivent ailleurs, elles sont attendues. Mais pour que les Québécois sachent ce qui se fait ici, il y a un beau travail de fond à faire.»
Le fil de l’argent
Les fils s’emmêlent parfois dans le monde des marionnettes, surtout lorsqu’il est question d’argent. Interrogé à ce propos, David Magny, le codirecteur artistique de Vis Motrix, s’emporte. «Ça ne coûte pas le même prix produire un spectacle de marionnettes qu’une pièce de théâtre. On peut être deux, trois ou quatre à travailler sur une seule marionnette. Lui faire ouvrir une porte, ça peut prendre deux heures de manipulation! Un comédien, ça va lui prendre cinq minutes.»
Les questions monétaires ne sont pas les seules à faire ombre au tableau. Les difficultés que connaît la marionnette sont aussi reliées à la résistance du milieu. Olivier Ducas estime que si la marionnette est encore associée par réflexe à Bobinette, c’est d’abord parce que les diffuseurs ne sont pas au rendez-vous. Le codirecteur artistique du Théâtre de la Pire Espèce est intarissable à ce sujet. «Pour notre pièce Ubu, on s’est déjà fait dire “on aime bien votre spectacle, mais ça ne rentre pas dans notre mandat”. Le problème au Québec, c’est que les diffuseurs qui ne sont pas producteurs sont rares.» Ce faisant, souligne-t-il, même s’il y a de plus en plus de spectacles de marionnettes, leurs silhouettes peinent à s’échapper des coulisses. La sensibilisation du public et des pairs pourrait ainsi permettre à la marionnette de sortir du jardin pour entrer de plain-pied dans la cour des grands.
Cinq ans d’activités pour le Casteliers
Le festival Les Trois jours de Casteliers se tiendra du 4 au 7 mars au Théâtre Outremont. La directrice générale, Louise Lapointe, constate avec bonheur un intérêt grandissant pour son événement. «Le taux d’assistance et de vente de billets ne cesse de s’accroître. L’année passée, nous avons presque toujours fait salle comble.» Elle précise que la programmation se divise également entre les spectacles de marionnettes pour adultes et pour enfants, la plupart du temps. L’événement se veut aussi une «rencontre de génération» entre les marionnettistes.
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