Profession: graffiteur
D’un côté, Montréal est en guerre contre les graffitis illégaux. De l’autre, des commerçants font appel à de jeunes artistes de l’aérosol ou du pinceau pour créer des murales décoratives dans la métropole. Serait-ce une piste de solution pour limiter les dégâts du graffiti vandalisant?
Hsix est graffiteur depuis l’âge de 14 ans. Armé de ses canettes, il parcourt les rues de Montréal, la capuche montée, pour laisser sa marque sur les murs gris de la ville. Ce qui le différencie des milliers d’artistes qui brandissent la canette haut et fort dans l’île de Montréal? Hsix est payé pour la majeure partie de ses œuvres.
Quand sa capuche est baissée, Hsix s’appelle Carlos. Sa spécialité, ce sont les murales représentant des visages réalistes. Si vous allez savourer une petite molle sur la terrasse du Dairy Queen au coin de Ste-Catherine et LaSalle, dans Hochelaga-Maisonneuve, vous aurez le bonheur d’être accompagné, entre autres, de Jean Charest et de Mr T., célèbre acteur et lutteur américain.
Ses contrats, Hsix – ou Carlos, c’est comme vous voulez – les trouve en partie grâce au Café Graffiti, une agence à but non lucratif regroupant 125 graffiteurs, danseurs de break et autres artistes de la rue. Mais les graffiteurs demeurent les artistes les plus convoités au sein de l’organisme. «Les demandes de murales se retrouvent au premier rang parmi les commandes qu’on reçoit», affirme le directeur général de l’organisme, Raymond Viger. En plus des compagnies privées, la Ville de Montréal fait aussi appel au Café Graffiti pour que des graffiteurs comme Carlos décorent ses murs.
Un pied dans l’interdit
Même si Carlos fait beaucoup de murales légales, Hsix continue de faire du graffiti hors-la-loi pour se faire respecter parmi les graffiteurs de la rue. «Tu n’as pas le choix de garder un pied dans la subversion et l’illégalité. Si tu fais seulement des graff légaux, tu vas te faire marcher dessus et tu ne te feras pas respecter. Le vrai sens du graff, c’est l’illégalité. C’est dans sa nature. Sinon, c’est comme si tu levais le nez sur tes origines.» Carlos s’assure ainsi que ses œuvres restent intouchées. «Normalement, je laisse un lettrage par-dessus mes œuvres pour ne pas me faire tagger. Mais maintenant, je commence à être connu dans le milieu, alors je me fais respecter.»
Arpi, qui fait du graffiti depuis 14 ans, affirme lui aussi que ses œuvres sont toujours restées intactes. «Je touche du bois. Je ne me suis jamais fait toyer. En général, il y a un respect mutuel entre graffiteurs. Ça arrive que des murales soient taggées par des jeunes.» Légal ou illégal, pour Arpi, l’important est de rester en harmonie avec ses valeurs. «Tu peux faire seulement des murales et pas de graffitis, tant que tu restes fidèle à toi-même et que tu restes ouvert.»
S’ils continuent de verser dans «l’illégalité», les deux graffiteurs le font toujours dans des lieux publics qui n’entraînent pas de conséquences directes pour les citoyens. «Je ne fais rien de destructif, indique Hsix. Je fais des graffitis à des arrêts de bus ou sur des trains, pour me garder un pied à l’intérieur. En général, les graffiteurs ont un code d’éthique. On ne tagge pas les maisons, les voitures, les commerces neufs, les églises ou les bâtiments historiques.»
Combattre le feu par le feu?
Le graffiti illicite dérange la Ville de Montréal et certains de ses citoyens. Celle-ci débourse plus de trois millions et demi de dollars par an pour les effacer. «Cette année, nous avons couvert 160 000 m2 dans les domaines public et privé en effacement de graffitis», affirme fièrement le responsable de l’Unité de propreté et de déneigement de la Ville de Montréal, Raymond Carrier. Pour Carlos, l’effacement est le pire moyen de limiter les dégâts des graffitis illégaux. «Remettre un mur à blanc, ça incite les graffiteurs à recommencer. La solution sensée serait de poser un treillis ou d’engager des artistes pour faire une murale décorative.»
Toutefois, la Ville ne peut pas toujours intervenir sur les propriétés privées. «Les gens ne veulent pas nécessairement des treillis ou des murales sur leur terrain, précise Raymond Carrier. Les graffitis amènent un sentiment d’insécurité pour plusieurs citoyens, surtout les personnes âgées.»
Le fonctionnaire affirme travailler conjointement avec le Café Graffiti pour ériger des murales décoratives, quand il le peut. «Ceux qui se rendent au coin de Viger et St-Laurent pourront admirer une murale d’une vingtaine de mètres de haut, faite par deux jeunes artistes montréalais et soutenue par la ville.»
L’art de survivre
Les compagnies privées et l’Hôtel de ville trouvent des graffiteurs par le biais d’organismes comme le Café Graffiti, mais rares sont ceux qui réussissent à vivre de leur art. «Je commence à y arriver, avance Carlos, mais c’est difficile. Il faut être très structuré. Et ça dépend surtout de ton mode de vie.»
Carlos avoue aimer ce statut précaire, qui lui permet de partir n’importe quand, n’importe où. «Moi, je ne dépense pas beaucoup. J’ai juste le minimum pour vivre et peindre. Je vis dans un petit appartement, j’entrepose mon matériel dans un locker. Je n’ai pas d’employeur fixe, alors je ne dois rien à personne!»
Pour l’instant, octroyer des contrats de murales à de jeunes artistes n’est pas encore une priorité pour réduire les graffitis dans l’île de Montréal. D’ici là, Hsix – ou Carlos, c’est comme vous voulez – compte bien remonter son capuchon sur sa tête à moitié rasée, revêtir son tablier plein de peinture et laisser sa marque sur les murs de la ville.
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