Se retrouver à la rue à 18 ans

Le jour de ses 18 ans, Camille est expulsée de sa famille d’accueil. En pleine pandémie, sa vie bascule. Elle se retrouve sans toit, sans appui familial et elle vient de perdre son emploi à temps partiel dans une épicerie.

Camille se promène alors de refuge en refuge, où les ressources sont réduites à cause des mesures sanitaires. Les soirs où elle ne peut pas squatter chez des ami(e)s, elle dort dans la rue.

À l’hiver 2022, la jeune femme rencontre un homme de cinq ans son aîné chez qui elle vivra pendant six mois. Six mois d’enfer où aucun jour ne passe sans qu’elle n’ait peur pour sa vie, raconte-t-elle. Toutefois, pour Camille, les bénéfices de passer l’hiver à l’intérieur avec un partenaire violent supplantent l’idée de se retrouver à la rue dans le froid.

Les comportements du jeune homme en question, ne faisant que s’aggraver avec le temps, la poussent à le quitter à l’été 2023 et à retourner dans la rue.

En 2022, une personne sur cinq en situation d’itinérance au Québec avait moins de 30 ans*. C’est le cas de Camille, qui a aujourd’hui 20 ans et qui en est à son deuxième épisode d’itinérance.

De la DPJ à la rue

L’histoire de Camille ressemble à celle de plusieurs jeunes ayant été placé(e)s par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) dans le passé. Le tiers d’entre eux et elles connaissent au moins un épisode d’itinérance avant 21 ans*.

« Le jour de mes 18 ans, je me suis sentie laissée à moi-même. »

Camille

« S’il y a quelque chose qui unit [les jeunes en situation d’itinérance], c’est un début de processus de désaffiliation, souvent à cause de milieux familiaux instables », remarque Isabelle Rochon-Goyer, intervenante de liaison et d’accompagnement chez Dans la rue, un organisme d’aide aux jeunes sans-abri. Elle constate que la fin abrupte de la prise en charge fragilise les jeunes qui ont connu un passage en institution, où le cadre est très restrictif. 

Camille soutient que l’absence de transition vers l’autonomie à l’âge adulte figure parmi les raisons pour lesquelles elle est dans la rue aujourd’hui.

Surreprésentation

« L’itinérance est plus fréquente chez les jeunes de la communauté LGBTQ+ et des communautés autochtones », déplore Steffes Lavoie-Ménard, aussi intervenante de liaison et d’accompagnement à Dans la rue.

En 2022, au Québec, 29 % des jeunes en situation d’itinérance de moins de 30 ans étaient membres de la communauté LGBTQ+. De plus, 13 % des personnes en situation d’itinérance (tous âges confondus) étaient autochtones, ce qui représente cinq fois leur poids démographique dans la province*. « Les mécanismes sociaux ne donnent pas beaucoup la chance au coureur ». regrette Isabelle Rochon-Goyer.

L’intervenante remarque aussi une surreprésentation de jeunes neurodivergent(e)s qui manquent de soutien ou qui n’en obtiennent plus une fois devenus adultes. « Pour des jeunes enfants ou adolescents pris dans des corps d’adultes avec des responsabilités d’adultes, c’est parfois difficile de comprendre pourquoi ils ont à faire un budget ou à payer un loyer », explique-t-elle.

Les investissements requis pour ouvrir un dossier d’accompagnement psychosocial en déficience intellectuelle, mais aussi pour renouveler une carte d’assurance-maladie ou faire une demande d’aide sociale, ne sont pas compatibles avec les conditions de la rue. « Ça prend du temps, de la constance, il faut se présenter aux rendez-vous. En étant dans la rue, les jeunes ont d’autres priorités », indique Mme Rochon-Goyer. Les intervenantes de Dans la rue constatent une augmentation « inquiétante » du nombre de personnes migrantes ayant recours aux services offerts par l’organisme. « Avec la crise du logement, on voit beaucoup plus de jeunes issus de l’immigration », témoigne Steffes Lavoie-Ménard.

Le statut précaire de ces jeunes les disqualifient de programmes gouvernementaux uniquement accessibles aux résident(e)s permanent(e)s, comme les habitations à loyer modique (HLM) ou le Programme de supplément au loyer, qui permet aux personnes admissibles de payer un loyer correspondant à 25 % de leurs revenus.

Plusieurs visages, plusieurs solutions

« Il y a autant de portraits de l’itinérance jeunesse qu’il y a de personnes en situation d’itinérance, d’où la nécessité de miser sur des solutions adaptées aux besoins de l’individu », résume Isabelle Brisson, coordonnatrice à Dans la rue. « Ce sont des histoires de gens qui se sont enfargés à tort ou à raison et ça peut vraiment arriver à n’importe qui », rappelle celle qui a aussi été intervenante de première ligne pendant 15 ans.

Les intervenant(e)s des organismes à Montréal comme Dans la rue offrent un « accueil inconditionnel » à chacun(e) afin d’éviter la désaffiliation complète des jeunes qui fréquentent leurs différents services.

Ces intervenant(e)s préconisent une approche multifacette qui mise, entre autres, sur la réduction de la durée des épisodes d’itinérance. « Nous offrons des alternatives [à la rue], même s’il ne s’agit que d’une pause pour pouvoir dormir ou manger », explique Isabelle Brisson.

Pour des jeunes comme Camille, qui se sentent « trahis par le système » , l’offre de services ponctuels peut changer la donne. « Une douche ou un repas chaud fait la différence entre une bonne ou une mauvaise journée ». confie-t-elle.

L’itinérance cachée

Camille a vécu l’itinérance cachée. Selon le Canadian Observatory on Homelessness, ce terme fait référence aux personnes qui vivent temporairement chez de la famille, des ami(e)s, des voisin(e)s ou des étranger(e)s (couchsurfing), car elles n’ont pas d’autre option. Elles sont « cachées » parce qu’elles ne font pas appel aux services offerts aux sans-abri et ne sont donc pas incluses dans les statistiques sur l’itinérance. Plus de 80 % des sans-abri canadien(ne)s vivraient en itinérance cachée.

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