La mort de Navalny secoue la communauté russe de Montréal

La mort du militant d’opposition russe Alexeï Navalny le 16 février dernier récolte une grande attention médiatique à travers le globe depuis deux semaines. Les Montréalais(e)s d’origine russe ont aussi leur mot à dire sur l’événement.

À la suite du décès du militant anti-Poutine, le Montréal Campus est allé à la rencontre des membres de la communauté russe de Montréal. S’exprimer sur le sujet en rend certain(e)s mal à l’aise, malgré le fait qu’ils et elles habitent au Québec depuis des années.

« On ne veut pas discuter de politique, on ne veut pas en entendre parler. C’est mauvais pour le magasin. »

– Boris*, gérant d’un commerce russe à Montréal

Alexeï Navalny purgeait une peine de 19 ans pour « extrémisme ». Amnistie internationale, comme beaucoup d’autres organisations et personnalités influentes à travers le monde, affirme qu’il a été emprisonné sur la base de fausses accusations.

Le militant était détenu depuis janvier 2021 et est mort dans une colonie pénitentiaire située dans le district de Iamalo-Nénétsie en Arctique russe. Le Kremlin affirme que les causes de son décès sont encore officiellement « inconnues ».

Une cause qui fracture l’opinion publique

Ana*, une employée du Centre communautaire des Juifs de Russie de Montréal (CCJRM) estime que le gouvernement de Poutine est responsable de la mort d’Alexeï Navalny.

« La plupart des personnes qui viennent ici [au CCJRM], des gens de l’Ukraine, de l’Estonie, de Russie, s’opposent à Poutine. C’est une horrible, horrible personne. Il met des gens en prison sans raison. Tu ne peux pas dire un mot sur le gouvernement, tu ne peux pas le critiquer. On est de retour au régime de Staline. Si [Navalny] n’a pas été tué, pourquoi ne peut-on pas avoir accès [à son] corps? », défend-t-elle.

Quelques jours après le décès de Navalny, les autorités russes ont annoncé qu’un délai de deux semaines serait nécessaire avant d’être en mesure de remettre le corps du défunt militant à ses proches. Beaucoup y voyait une manière de camoufler un meurtre. La dépouille a finalement été rendue à la mère de Navalny le 24 février.

Elena*, une Moscovite d’origine installée à Montréal depuis près d’une trentaine d’années, tient des propos complètement différents. « Je suis pour Poutine et je n’aime pas Navalny, raconte-t-elle. Nous sommes tous mortels, je ne pense pas que quelqu’un [l’ait tué]. Son décès était naturel. »

D’après elle, la réalité en Russie n’est pas traitée avec rigueur par les médias canadiens. « On ne donne pas l’information exacte de ce qui se passe en Russie, malheureusement. Ce que je vois aux nouvelles là-bas et ici, c’est absolument différent », continue-t-elle.

Rêver d’une Russie libre

Aux yeux d’Aleksei Asher Kavun, un membre de l’Alliance démocratique des Canadiens russes (ADCR) installé à Montréal, il n’y a aucun doute sur le fait que Navalny ait été assassiné par le gouvernement de Vladimir Poutine. « Il a été torturé à mort », croit-il.

M. Kavun a rencontré Alexeï Navalny en 2013, alors que ce dernier se présentait à la mairie de Moscou. Le Montréalais s’était porté volontaire pour faire du bénévolat pour sa campagne politique, même si les « élections truquées de Russie » ne laissaient entrevoir que très peu d’espoir selon lui. « Quoi qu’il arrive, c’était impossible de gagner », laisse-t-il tomber. Alexeï Navalny a finalement récolté 27 % des voix lors de ces élections, loin derrière le candidat soutenu par le Kremlin.

Pour Aleksei Asher Kavun, les médias canadiens offrent une couverture juste de la situation actuelle en Russie, à l’exception d’un détail. « Ce qui est le plus négligé par les médias canadiens, c’est le nombre de prisonniers politiques en Russie. Navalny était certainement l’opposant le plus connu de Poutine et le détenu le plus important. Mais à l’heure actuelle, en Russie, il y a environ un millier de prisonniers politiques », affirme le membre de l’ADCR.

Un regard spécialisé sur la situation

« Navalny pourrait très bien avoir été assassiné un tel jour sur ordre de Poutine, comme il pourrait être mort des causes des mauvais traitements qu’il subissait en prison, ce qui ne correspond peut-être pas à la vision qu’on a habituellement d’un assassinat comme d’un acte ponctuel qui viendrait d’une volonté explicite », détaille Guillaume Sauvé, chargé de cours au Département de science politique de l’UQAM et spécialiste de la politique russe.

M. Sauvé rappelle que des assassinats ou des tentatives d’assassinats d’opposants russes ont déjà été attribués à Vladimir Poutine par le passé. Il cite notamment comme exemples Boris Nemtsov, opposant libéral russe tué par balles à quelques pas du Kremlin, et Vladimir Kara-Mourza, qui a subi deux tentatives d’assassinat et qui est actuellement détenu en colonie pénitentiaire.

Le chargé de cours explique que la mort de Navalny ne change rien aux capacités d’organisation du mouvement d’opposition, qui étaient déjà extrêmement limitées depuis son emprisonnement. « Pour que ça change, il va falloir soit que Poutine meure, qu’il parte du pouvoir ou qu’il [perde la guerre en Ukraine] », conclut M. Sauvé.

*L’anonymat a été accordé à ces personnes, qui craignent des représailles.

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