Le 28 septembre dernier, la région du Haut-Karabakh a été dissoute, suite à une attaque-surprise de l’Azerbaïdjan. Les médias occidentaux ont beaucoup parlé des récents développements de la situation, mais bien peu de l’histoire de ce conflit complexe, qui implique plusieurs acteurs et qui remonte à plus d’un siècle.
« C’est un territoire que je ne vais jamais voir. Le Haut-Karabakh, c’est les terres ancestrales de l’Arménie. On perd une partie de notre histoire, les preuves que c’est un peuple vraiment ancien. Je me sens vraiment impuissante par rapport à ce qui se passe », déplore Kato Langlois-Muftikian, une Québécoise d’origine arménienne, après avoir appris la capitulation de la région du Haut-Karabakh. Ce territoire se situe à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Le Haut-Karabakh (que les Arménien(ne)s nomment Artsakh), peuplé à plus de 95 % par des Arménien(ne)s avant le mois d’octobre, a récemment été repris par l’Azerbaïdjan. Celui-ci a promis à la population de la région, qui était autonome depuis la dissolution de l’URSS en 1991, qu’elle pourrait conserver ses droits et son identité. Les Arménien(ne)s présent(e)s sur le territoire n’ont pas cru le gouvernement azerbaïdjanais et près de 120 000 personnes, soit presque toute la population du Haut-Karabakh, ont fui vers l’Arménie dans les dernières semaines.
« [Le gouvernement azerbaïdjanais] peut dire ça aujourd’hui, mais ça fait 30 ans qu’il ne fait qu’exprimer sa haine de l’Arménie et du peuple arménien […] et qu’il menace de chasser les Arméniens comme des chiens », affirme Shant Karayan, représentant du Comité national arménien du Québec, pour expliquer cet exode des habitant(e)s du Haut-Karabakh.
L’historique du conflit
« Une des causes premières du conflit actuel a été la décision de Joseph Staline, lors de l’Union soviétique, de donner le Haut-Karabakh [terre ancestrale arménienne] à l’Azerbaïdjan en 1923 », explique Leonardo Torosian, membre de la Armen Karo Student Association et expert en conflit et en sécurité de l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche. Il note qu’à partir des années 1960, la population arménienne du Haut-Karabakh « envoie des lettres et fait des pétitions vers Moscou en demandant d’être rattaché à l’Arménie, sans succès ».
À la suite de la chute de l’URSS en 1991, une guerre éclate entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, deux anciennes républiques soviétiques nouvellement indépendantes, pour le contrôle du Haut-Karabakh. L’Arménie gagne cette guerre en 1994 et reprend le Haut-Karabakh. « [Le Haut-Karabakh] a obtenu son indépendance à ce moment, quoiqu’elle n’est pas reconnue, de façon démocratique, par le biais d’un traité », déclare M. Karayan. Plusieurs guerres ont été déclarées par l’Azerbaïdjan dans les 30 dernières années pour reprendre ce territoire. « [Les forces de l’Azerbaïdjan] l’ont fait en 2016 durant une guerre qu’on appelle aujourd’hui la guerre des Quatre Jours. Ils l’ont fait encore en 2020 durant la guerre de 44 jours, qui leur a permis de reconquérir une énorme partie de ces territoires », souligne M. Torosian
« Le seul pays qui avait garanti la sécurité de l’Arménie dans les 30 dernières années, c’est la Russie. Avec ce qui se passe en Ukraine, la Russie s’est désistée de son rôle de protecteur », explique M. Karayan. L’Azerbaïdjan en a profité pour déclencher une attaque-surprise le 19 septembre dernier et reprendre le Haut-Karabakh en une journée.
L’implication de la Turquie dans le conflit
Au cours des 30 dernières années, l’Azerbaïdjan a considérablement augmenté son budget militaire, notamment grâce aux revenus de son industrie pétrolière. L’Azerbaïdjan s’est également fait un allié puissant, la Turquie, ce qui rend la tâche encore plus difficile pour les Arménien(ne)s.
« C’est la continuation de cette politique qu’on aime appeler le panturquisme », explique M. Karayan. L’Arménie se situe au centre d’un corridor de pays turciques, note-t-il.
« C’est une idée impérialiste de connecter physiquement tous ces pays turciques. L’Arménie demeure l’obstacle de la réalisation de ce projet depuis longtemps », avance-t-il pour illustrer pourquoi les Arménien(ne)s ont été persécuté(e)s par la Turquie et l’Azerbaïdjan dans le dernier siècle.
« [En raison de sa situation géographique], l’Arménie est constamment en danger puisqu’elle est un pays chrétien qui a sa propre culture » – Kato Langlois-Muftikian
Le pays a été la cible de nombreuses oppressions par le passé; le génocide arménien en est un exemple. Ce dernier fut orchestré par l’Empire ottoman entre 1915 et 1916. « Depuis le génocide de 1915, j’ai l’impression que les Arméniens font juste essayer de survivre », poursuit-elle.
Lors de la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 2020, « la Turquie a fourni énormément d’hommes, de matériel et aussi de drones pour que l’Azerbaïdjan puisse bombarder non seulement les positions arméniennes, mais aussi les civils arméniens du Haut-Karabakh pour reconquérir cette zone. La Turquie est aujourd’hui une grande alliée de l’Azerbaïdjan, une alliée de la dictature », souligne M. Torosian.
La Turquie, qui fait partie de l’OTAN depuis 1952, reçoit beaucoup de critiques de la part des pays occidentaux depuis l’arrivée de Recep Tayyip Erdoğan à la tête du pays en 2014. « Dans le contexte où la Turquie fait partie de l’OTAN, malheureusement, je pense que l’Azerbaïdjan va continuer son expansion, car ils ont le gros bout du bâton. On aura beau faire des actions en tant qu’individu, c’est à la communauté internationale d’agir », affirme Kato Langlois-Muftikian.
Elle rappelle l’importance de s’informer sur le sujet pour l’avenir des Arménien(ne)s. « Je n’ai jamais entendu personne parler de l’Arménie et c’est un conflit qui dure. On parle de la dissolution maintenant, mais personne n’a parlé du conflit avant, personne n’en a parlé quand c’était nécessaire. Là, il est trop tard », se désole-t-elle.
Mention image : Chloé Rondeau
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