Le transfert de bail menacé

Les étudiants et les étudiantes s’inquiètent de leurs possibilités de location avec l’adoption récente du volet sur les transferts de bail dans le projet de loi 31 du Québec. Les comités de logement craignent que cette nouvelle mesure menace une tranche de la population vulnérable : les étudiants et les étudiantes de l’étranger.

« Mon colocataire est le locataire principal et il sous-loue les deux chambres à moi et un autre étudiant. J’ai trouvé cette chambre sur Kijiji, et je n’ai pas l’intention de la laisser », a indiqué Fabian Ortner, doctorant en biochimie à l’UQAM d’origine allemande, qui habite son 5 ½ depuis 2021 dans un multiplex à Villeray. 

Fabian Ortner, comme plusieurs autres étudiants et étudiantes de l’étranger, a trouvé son appartement en dehors du parc locatif traditionnel grâce à une annonce publiée en ligne par le propriétaire. Cela représente une alternative à la cession de bail, offrant ainsi la possibilité d’accéder à des logements locatifs à un coût moins élevé dans des grandes centres métropolitains comme Montréal, où le coût moyen d’un loyer est de 1022 $, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). 

Au Québec, un ou une locataire peut céder son bail en informant par écrit le locateur ou la locatrice, qui ne peut refuser sans motif sérieux, impliquant un processus réglementé visant à protéger les droits du locataire cédant. Si le projet de loi 31 est voté à l’Assemblée nationale en 2024, ce ne sera plus le cas.

Edwige Medioni, aussi doctorante à l’UQAM, a choisi Montréal pour son abordabilité et compte s’installer ici après ses études. « Venant de France et n’ayant donc aucune côte de crédit, je n’ai trouvé aucun appartement à un prix raisonnable et dont le propriétaire était compréhensif à l’égard de la situation des étudiants étrangers », dit-elle.

Edwige Medioni, qui est à Montréal depuis 2022, a décidé de louer un appartement aux résidences universitaires de l’UQAM et a renouvelé son bail à l’automne 2023 à un prix plus élevé que l’année précédente, mais concurrentiel. « Le loyer est de 1000 $ taxes incluses pour un 3 ½, mais j’espère trouver un appartement en dehors du logement étudiant pour la prochaine année scolaire », ajoute-t-elle.

Une loi sujette à interprétation

Les transferts de bail ne sont désormais plus envisageables après l’adoption de l’article 7 du projet de loi 31 le 28 novembre dernier qui permettra aux propriétaires de refuser l’avis de cession de bail du locataire, pour un motif autre qu’un motif sérieux comme l’absence de revenus. Selon la Loi modifiant diverses dispositions législatives principalement en matière d’habitation déposée, le ou la propriétaire pouvait ainsi dissoudre le bail « à la date de cession indiquée dans l’avis transmis par le locataire ». 

Les associations de défense des droits des locataires craignent que ce nouveau projet de loi ouvre la voie à de nouvelles discriminations en matière de logement qui touchent plus durement les étudiants et étudiantes de l’étranger. « Certains types de locataires n’ont pas d’autre moyen d’obtenir un bail que le transfert de bail », souligne Cédric Dussault, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ). Les différents groupes avec lesquels le Montréal Campus s’est entretenu comprennent le transfert de bail de manières différentes. Le RCLALQ estime que la loi menace les locataires alors que pour l’Association des Propriétaires du Québec (APQ), la loi ne va pas assez loin pour protéger les propriétaires.

Un « marché noir » de l’immobilier 

« Les cessions de bail ne devraient exister que pour les gens qui ne peuvent plus payer le loyer et qui cherchent quelqu’un qui est en mesure de faire les paiements, pour respecter leur obligation de payer », dit François Des Rosiers, professeur en administration à l’Université Laval et directeur du Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD). « Il n’y a aucune raison pour laquelle un locataire devrait tirer des avantages indus dans le dos des propriétaires », dit M. Des Rosiers en faisant référence au « marché noir » des loyers que décrivent des organismes comme l’APQ et la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ). 

Le marché noir des baux, selon M. Des Rosiers, serait un marché qui existe en dehors du parc locatif traditionnel, c’est-à-dire les contrats de location entre propriétaires et locataires. Dans un communiqué de presse, la CORPIQ décrit pour sa part une « marchandisation des baux » qui nuit aux propriétaires puisque les locataires refusent une augmentation de leur loyer en fonction de l’inflation, des taxes foncières et des frais de gestion. 

La CORPIQ prétend que le système actuel encourage un « magasinage des cessions de bail », et décourage le développement résidentiel et le renouvellement d’unités dans le parc locatif, ajoutant que les locataires voient à court terme sur le plan économique. « Nous avons besoin de densification dans la région métropolitaine de Montréal », dit M. Des Rosiers.

Bien que le projet de loi 31 n’ait pas été voté dans son intégralité, avec l’adoption de l’article 7, plusieurs personnes craignent que cette mesure utilisée par les locataires pour obtenir des tarifs plus bas ne disparaisse et n’ouvre le marché de la location à des tarifs plus élevés comparables à ceux de Toronto et de Vancouver.

Mention photo : Chloé Rondeau

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