La représentation trans à l’écran, fidèle à la réalité ?

« À un moment donné, [les autres personnages] apprennent qu’elle est trans, puis tout le monde se met à vomir dans la salle », se remémore Luna Choinière, une jeune femme trans, au sujet du film Ace Ventura mène l’enquête (1994).

Avec la venue récente de visages trans dans des séries télévisées telles que Pose, Euphoria et Sense8, la transidentité suscite de vives réactions dans l’espace public. Celles-ci peuvent se révéler par l’existence « de fausses certitudes » chez les gens, selon la comédienne et réalisatrice trans Pascale Drevillon.

« Les seules images de transidentité que j’ai vues dans ma jeunesse, c’était des travailleurs du sexe dans de mauvais films où c’était toujours présenté de manière vulgaire ou excentrique », déplore Mme Drevillon.

« Les trans à l’écran étaient des criminels, des drogués, des victimes de crimes violents… » – Pascale Drevillon, réalisatrice trans

À son avis, cela explique la négativité que certaines personnes peuvent associer à la transidentité.

Au-delà du narratif trans

D’après Alice Bédard, une réalisatrice trans québécoise, ce n’est que récemment qu’une amélioration a été observée quant à la représentation de la transidentité en fiction, bien que celle-ci soit encore rare.

Si la présence de rôles trans augmente, Pascale Drevillon croit toutefois que la télévision québécoise peine encore à dépeindre fidèlement cette réalité. « Ç’a beaucoup évolué, à mon avis, mais c’est comme tout le reste », affirme l’actrice.

Alice Bédard considère que le portrait des personnes trans à l’écran est problématique au Québec. « Il y a [Claudia dans] Fugueuse 2 et Pretzel dans M’entends-tu, qui est l’une des pires représentations que j’ai vues, tous médias confondus », nomme-t-elle en guise d’exemples.

Elle se souvient aussi qu’« il y avait un personnage dans Unité 9 qui s’est fait mettre à la porte parce qu’elle était trans et ne l’avait pas mentionné lors de son embauche ».

L’idéal, selon les personnes trans interrogées par le Montréal Campus, serait de ne pas mettre l’accent sur l’identité de genre des personnages. « Il y a des actrices trans [dans American Horror Story] et ils n’en font pas toute une affaire. Ce sont des actrices trans, elles sont là, elles jouent leur rôle et c’est tout », dit Luna Choinière, qui est assistante maquilleuse à la télévision.

Écouter les voix trans

Dominos, une websérie québécoise réalisée par Zoé Pelchat-Ouellet, introduit un personnage trans dans sa deuxième saison. « J’ai vraiment appris à travers cette expérience-là, parce que je ne connaissais pas de personne trans quand j’ai écrit les premières versions de ce personnage », explique la réalisatrice en spécifiant que Pascale Drevillon a refusé le rôle lorsqu’elle le lui a proposé.

La comédienne en question indique qu’il faut des séries et des films dont les histoires sont écrites et réalisées par des personnes trans. Elle précise toutefois qu’il est possible d’initier des conversations sur le sujet comme l’a fait Zoé Pelchat-Ouellet pour Dominos. « Pascale a été très généreuse et elle n’avait pas à m’éduquer sur la question, mais elle m’a parlé de son expérience de façon bienveillante et ouverte », se rappelle Mme Pelchat-Ouellet.

« Prendre des acteurs non-trans devrait être l’exception et non la norme. » – Alice Bédard, réalisatrice trans

La réalisatrice a retravaillé le narratif du personnage et Pascale Drevillon a accepté le rôle. « Finalement, on ne dit jamais que son personnage est trans, c’est une femme. Elle fait plein de choses différentes : elle est ambulancière, elle a un amant », enchaîne Zoé Pelchat-Ouellet au sujet du personnage de Claudia.

Choisir l’interprète idéal(e)

Les personnes questionnées par le Montréal Campus s’entendent pour dire qu’un comédien ou une comédienne trans devrait être engagé(e) pour incarner un individu trans à l’écran.

C’est justement ce que Lé Aubin, interprète non binaire, décrit. « J’ai de la misère à trouver de bonnes raisons de donner le rôle d’une personne trans ou non binaire à une personne cisgenre. » Il ajoute que ces rôles sont peu nombreux au Québec.

Une situation de la sorte s’est pourtant produite cette année lors de la distribution du rôle principal d’une femme trans en prétransition à Lenni-Kim Lalande, un acteur cisgenre, pour la série FEM, qui sera diffusée sur Unis TV à l’hiver 2024.

« On a vraiment exploré toutes les options et il nous fallait quelqu’un qui soit capable de chanter de façon extraordinaire », explique la réalisatrice de la série Marianne Farley. Mme Farley ajoute qu’il aurait fallu faire plusieurs compromis en donnant le rôle à une interprète trans comme le personnage est en prétransition et qu’il devait, entre autres, se faire pousser une barbe.

Pascale Drevillon a participé à ce projet en tant que stagiaire à la réalisation. « Lenni est une personne queer sensible et pleine de douceur, de talent et d’empathie. Il est exactement ce dont la série avait besoin », commente-t-elle au sujet du choix de l’interprète. Selon elle, c’est à travers une approche documentaire que le Québec réussit le mieux à représenter la réalité des individus trans.

Filmer sa transition

« Quand j’avais 16 ans [en 2004], j’ai vu un documentaire sur Canal Vie qui s’appelait Andréa, née à 35 ans », souligne Pascale Drevillon en précisant que ce long métrage français lui a fait découvrir l’existence de la transidentité.

La quête de Khate, une websérie documentaire de 2019, dévoile le processus chirurgical d’affirmation de genre de Khate Lessard. Cette participante d’Occupation double Afrique du Sud explique au Montréal Campus qu’il est « dur d’être aussi vulnérable, de ne pas bien te sentir et d’avoir des gens qui te suivent [pour filmer] ».

La jeune femme boucle ainsi la boucle puisqu’elle a elle-même découvert l’existence de la transidentité lorsque l’influenceuse Gabrielle Marion a partagé les étapes de sa propre transition sur YouTube.

« C’est sûr que ça avance, mais ça avance très lentement », indique Pascale Drevillon sur une note plus nuancée au sujet de la représentation des personnes trans à l’écran.

Mention photo : Élizabeth Martineau

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