Théâtre : être ou ne pas être pauvre

Le manque de fonds dans le monde culturel touche de nombreux et de nombreuses artistes de théâtre qui doivent se serrer la ceinture pour suivre le coût de la vie. Leurs solutions ? Les publicités, les changements de carrière et l’accumulation d’emplois.

« Chaque année, on a de la misère à y arriver. On a de la misère à bien payer nos artistes », déplore François-Étienne Paré, directeur artistique du Théâtre de la Ligue nationale d’improvisation (LNI). Il est d’avis que ce manque de financement se voit et se vit plus que jamais auprès des artistes québécois(e)s.

« Les comédiens et les comédiennes sont obligé(e)s de multiplier les champs d’actions pour avoir un salaire annuel qui leur permet de vivre. C’est inquiétant », renchérit-il.

Diplômée en 2006 de l’École nationale de théâtre du Canada, la comédienne Isabelle Grégoire a été serveuse pendant 17 ans afin de pouvoir pratiquer le métier de ses rêves, tout en étant capable de payer son loyer.

« Être serveuse était la meilleure option, car l’horaire est flexible et ça me permettait d’avoir quelques rôles tout en payant mon épicerie grâce à mes pourboires. » La comédienne ajoute que dès le début de la formation en art dramatique, « on est avertis que le théâtre est un métier ingrat et qu’il y a un très faible pourcentage de comédiens qui réussissent. On le sait, mais ça fait suer. »

Un milieu épineux

Ayant « ras-le-bol » des conditions de serveuse et des opportunités en théâtre qui sont souvent trop rares, Mme Grégoire, en quête d’une certaine stabilité, a pris la décision de retourner à l’école en 2016 pour suivre un cours de guide touristique à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec.

« Ce qui m’inquiète, c’est que de moins en moins de comédiens sont capables de vivre de leur métier. C’est triste et dommage. » La comédienne reste tout de même présente sur la scène culturelle, en interprétant notamment un des Fantômes du Vieux-Montréal, un rôle qui est une fierté pour elle.

Florence Dupont est artiste multidisciplinaire et étudiante au baccalauréat en art dramatique concentration enseignement à l’UQAM, a accumulé publicités, figurations et rôles muets lors d’une année sabbatique suite à sa graduation de l’École de théâtre professionnel du Collège Lionel-Groulx.

La jeune artiste n’a toutefois amassé que 5000 dollars lors de cette année et non à cause d’un manque d’effort. « Je ne peux vraiment pas me permettre de vivre uniquement de cela, d’où mon intérêt de continuer à étudier et d’aller chercher mon brevet d’enseignement », explique-t-elle.

Rapidement, la comédienne a constaté que cette constante attente n’était pas assez stimulante et stable. « Pour avoir un emploi en culture, il faut donner son 200 %, constamment, sur une longue période de temps », dit-elle.

« On ne sait jamais où nos efforts vont nous mener et des fois, ils ne mènent nulle part. » – Isabelle Grégoire, comédienne

L’amour du théâtre

La publicité rapporte souvent plus d’argent que des rôles théâtraux. Pour cette raison, de nombreux et de nombreuses artistes prennent la décision de faire des contrats publicitaires, même si leur formation leur permet de faire plus.

François-Étienne Paré côtoie quotidiennement des artistes qui abandonnent leur spectacle de la LNI pour faire une publicité. « Si un artiste décroche une publicité, c’est sûr qu’il va quitter notre show. C’est normal, la pub rapporte beaucoup plus d’argent. »

Le directeur artistique explique qu’un artiste participant à la Coupe Charade, la compétition d’improvisation de la LNI, ne gagne que 2000 dollars par saison et « s’il est chanceux, il ira en finale et aura un peu plus ».

« On traîne pendant des années dans des domaines qui ne nous appartiennent pas, comme la pub, dans l’espoir de se dire “l’année prochaine je vais peut-être faire quelque chose que j’aime viscéralement dans la vie” », glisse Isabelle Grégoire.

La solution à cette problématique économique est loin d’être trouvée selon M. Paré. « J’espère qu’on va trouver des chemins pour que les artistes vivent mieux, mais c’est une problématique très complexe dans laquelle les solutions sont peu évidentes », explique-t-il.

La question de l’avenir financier dans le monde de la culture est un sujet tabou, sans solution apparente. Très peu de membres du milieu culturel ont répondu à nos demandes d’entrevue, dû à la nature « délicate » du sujet. 

« Il faut se faire confiance. Même si mes chances sont maigres. J’aime mon métier ! », dit Florence Dupont, qui est pleine d’espoir pour son futur.

Mention illustration : Chloé Rondeau

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *