Les médias prudents avec l’utilisation du mot «Palestine»

Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), la Palestine n’est pas un pays. En 2021, un journaliste de CBC a été contraint de s’excuser pour avoir dit « Palestine » en ondes. Les médias québécois exploitent quant à eux ce terme avec précaution. 

Selon le directeur principal de l’information du journal La Presse, Jean-François Bégin, le terme Palestine peut être utilisé dans certaines circonstances. « Par exemple, dans des chroniques d’opinion, [Palestine] est employé par souci de simplicité, dans la mesure où le contexte ne porte pas à ambiguïté, notamment lorsqu’on veut parler de l’État revendiqué par le peuple palestinien », explique-t-il.

M. Bégin souligne que « le mot a été utilisé des centaines de fois au fil des années dans La Presse. » 

Depuis le déclenchement de la guerre Israël-Hamas le 7 octobre dernier, des termes comme « bande de Gaza » et « Hamas » sont privilégiés dans les médias pour traiter de la situation dans les Territoires palestiniens. 

Le Hamas est l’organisation islamiste qui contrôle actuellement l’enclave frontalière de l’Israël et de l’Égypte, soit la bande de Gaza. Il est au pouvoir depuis 2007 et aucune élection n’a eu lieu depuis. 

Pour de nombreux pays occidentaux, tels que le Canada et les États-Unis, le Hamas est une organisation terroriste. À l’instar de « Palestine », l’utilisation du terme « terroriste » pour désigner le Hamas est matière à réflexion dans certains médias. « Radio-Canada ne bannit pas le terme “terroriste“ de ses ondes », explique Maxime Bertrand, Directrice des relations citoyennes à Radio-Canada. « Depuis le début du conflit, ce terme a été utilisé à maintes reprises dans nos reportages, dans nos entrevues, par des citoyens, des experts et des acteurs politiques, entre autres », ajoute-t-elle.

De son côté, La Presse qualifie l’attaque du 7 octobre dernier en Israël de « terroriste », sans pour autant classifier le Hamas en tant qu’organisation terroriste. 

Qu’est-ce que la Palestine ? 

Selon le sociologue Rachad Antonius, la Palestine est historiquement « Israël tel que reconnu dans les frontières internationales, plus la Cisjordanie, plus Gaza. On met les trois ensembles et c’est ça la Palestine. » Il ajoute qu’aujourd’hui, Israël constitue 78 % de ces territoires, tandis que  les Territoires palestiniens en représentent 22 %.

Ces territoires ne sont pas officiellement reconnus comme formant un pays par l’ONU. Pourtant, l’indépendance des Territoires palestiniens est acceptée par plus de 130 nations.

Les dirigeants de la Cisjordanie (l’Autorité palestinienne) et de la bande de Gaza (le Hamas) ne sont pas des alliés. L’Autorité palestinienne, qui fait partie du groupe politique militant Fatah, peut être présente aux rencontres de l’ONU, puisqu’elle possède le statut symbolique d’État observateur non membre. Le Hamas, qui ne possède pas ce statut, ne peut pas être présent.

L’utilisation des termes « bande de Gaza » et « Cisjordanie » sert aussi à mieux situer géographiquement le conflit. Comme le rappelle Anaïs Elboujdaïni, journaliste indépendante présente en Israël lors du début du conflit, parler d’un bombardement dans la bande de Gaza est précis, tandis que d’un bombardement en Palestine l’est moins, en raison de la division du territoire palestinien. 

Palestine : un terme litigieux ?

En 2021, le journaliste canadien-anglais Duncan McCue a utilisé sur les ondes de CBC Radio One le terme « Palestine » pour parler des Territoires palestiniens. Le lendemain, des excuses communes du journaliste et de la chaîne furent présentées au public et le mot fut retiré à la rediffusion. 

En réaction aux excuses de la société d’État, Hanna Kawas, directrice de la Canada Palestine Association, a déposé une plainte à l’ombudsman de CBC/Radio-Canada, désapprouvant la censure de ce mot.

« Ce n’est pas l’éventualité ou non d’une plainte qui dicte nos choix, mais plutôt la volonté de rapporter les faits avec exactitude », assure la Directrice des relations citoyennes à l’Information chez Radio-Canada, Maxime Bertrand.  

Le cas de Taïwan 

D’autres territoires sont, comme les Territoires palestiniens, non reconnus par la communauté internationale. Taïwan en est un exemple. Cette île au sud-est de la Chine est uniquement reconnue comme un pays par 13 nations, soit bien moins que les Territoires palestiniens.

Pourtant, les médias n’hésitent pas à nommer Taïwan. Selon M. Antonius, c’est une question de politique étrangère des puissances occidentales. « [Ces pays] appuient à 100 % l’indépendance de Taïwan, mais pas celle de la Palestine. »

Toutes ces questions autour du mot Palestine rendent difficile pour les médias le fait d’en parler. Les récentes escalades de violence ne font rien pour calmer les problématiques entourant l’utilisation de ce terme sensible. 

Mention illustration : Chloé Rondeau

Commentaires

4 réponses à “Les médias prudents avec l’utilisation du mot «Palestine»”

  1. Incroyablement intéressant et révélateur. J’ai hâte de lire plus d’articles de ce jeune journaliste.

  2. Avatar de Lynda Seymour
    Lynda Seymour

    Très bien expliqué je comprends mieux maintenant. Bel avenir à ce jeune journaliste

  3. Avatar de Benoit Le Nabec
    Benoit Le Nabec

    Un article fort intéressant, je ne savais pas, ce sont des situations complexes, merci d’avoir partagé.

  4. Avatar de Hélène Robidas
    Hélène Robidas

    Bravo pour cet excellent article qui démêle l’écheveau des termes utilisés pour parler des territoires occupés par les populations d’Israël et des territoires palestiniens.
    C’est un sujet complexe bien présenté pour aider à la compréhension des acteurs en présence et des populations concernées sur une surface géographique réclamée depuis fort longtemps par des voisins devenus ennemis.
    Malheureusement ce n’est pas qu’une petite chicane de clôtures. Il y a des morts tous jours.
    Félicitations jeune homme pour cet article intéressant!

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