Dans une ère où les fausses nouvelles circulent sur les fils d’actualité et sont relayées par une pléthore d’algorithmes complexes, l’inquiétude surgit comme un réflexe face au blocage des médias canadiens sur les plateformes de Meta. Est-ce là une voie qui s’ouvre pour la désinformation? Le Montréal Campus fait le point avec des spécialistes.
« Toute initiative qui empêche la circulation de bonnes informations est condamnable », lance d’emblée Line Pagé, présidente du conseil d’administration du Centre québécois d’éducation aux médias et à l’information (CQÉMI), en parlant du blocage des nouvelles de Meta.
L’ancienne journaliste s’inquiète des conséquences pour les gens qui s’informent exclusivement sur les réseaux sociaux. « S’il y a une fausse information qui circule, mais qu’après il y a tout de suite un article [d’un média fiable] qui vient apporter des bonnes informations, ça vient contrecarrer [la désinformation] », croit-elle.
Pour Simon Hogue, professeur au département de science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le projet de loi C-18 adopté en juin dernier n’engendrera pas nécessairement une augmentation de la désinformation, mais laissera tout de même davantage de place à du contenu pauvre en qualité. Alors que les journalistes respectent des codes déontologiques et sont formé(e)s pour créer des reportages et du contenu éditorial rigoureux, un grand nombre de publications sur les réseaux sociaux ne répondent pas à ces critères, pense-t-il.
Il y a de très bons journaux en ligne, mais il y a aussi beaucoup de mauvais contenu. Pas juste du contenu mensonger, mais du contenu pauvre. Et une grande partie de la population a de la difficulté à discerner le contenu de qualité du contenu pauvre.
– Simon Hogue, professeur au département de science politique de l’UQAM
La jeunesse davantage concernée
En juin 2022, une enquête NETendances, publiée par l’Académie de la transformation numérique de l’Université Laval, révélait que le tiers des adultes québécois utilisent les réseaux sociaux comme principale source pour s’informer sur l’actualité. Cette proportion s’élève à 67 % chez les 18 à 24 ans.
Selon Simon Hogue, les populations plus âgées et habituées aux médias traditionnels (télévision, papier, radio) subiront peu les répercussions du blocage de Meta. « Plus tu descends dans les générations, plus l’impact risque d’être important », soutient-il.
Plus de peur que de mal
Aucun cri d’alarme ne devrait cependant être lancé, affirme Simon Hogue; rien n’indique que le projet de loi C-18 fera accroître la désinformation. D’après lui, il y a « relativement peu de contenu informatif » dans un fil d’actualité Facebook. Le retrait de ce contenu aura donc « un impact plus ou moins important, parce que de toute façon, il est noyé à travers tout le reste », soulève-t-il.
De plus, les algorithmes ont toujours dicté la façon dont les nouvelles circulent sur les réseaux sociaux, note M. Hogue. Le blocage de Meta n’aggrave donc pas vraiment la situation. « L’algorithme nous renvoie le contenu pour lequel on a déjà montré de l’intérêt : c’est le principe des chambres d’écho. Ce qui fait qu’on a plus ou moins tout le temps un contenu similaire », explique le professeur.
Son avis est partagé par le directeur du Centre de recherche sur la communication et la santé (ComSanté), Alexandre Coutant, qui constate que les plateformes de Meta cherchent d’abord à gagner l’attention de ses utilisateurs et utilisatrices, au lieu de mettre en place des espaces et des outils conviviaux pour les médias.
Pour lui, les fausses nouvelles ne sont pas l’enjeu central dans ce bras de fer entre le gouvernement et les géants du web. « Cette loi, elle va soulever des discussions autour du prix qu’une société est prête à payer pour avoir de l’information de qualité », dit-t-il.
Prendre du recul
La désinformation a souvent « terrifié les médias », selon M. Coutant, qui cite notamment les cas de la pandémie et des élections américaines de 2016. Cependant, il estime qu’il est inutile de dramatiser son impact sur une société qui dispose d’un esprit critique, et surtout, de nombreux canaux de discussion pour éviter de tomber dans ces pièges.
« On passe beaucoup de temps à essayer d’empêcher la circulation de mauvaises informations, alors qu’en fait, ce qui marche, c’est quand les gens discutent autour des informations. Il faudrait plutôt encourager des endroits d’échange », résume le directeur de ComSanté.
Mention illustration : Chloé Rondeau
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