Les parents orphelins

Perdre un enfant est considéré comme un deuil contre nature, laissant des séquelles psychologiques importantes sur les familles qui en sont touchées. Témoignage d’une mère dont les jumelles sont décédées en cours de grossesse.

« Je me suis levée un matin et j’ai dit à mon mari : “Je ne me sens plus enceinte.” C’est difficile à expliquer, c’est un ressenti que j’avais », se souvient Émilie Lafrance, une femme ayant perdu ses jumelles lors de la 18e semaine de sa grossesse, en août 2021. 

Depuis la perte de son enfant, Émilie vit un deuil périnatal. Ce type de deuil peut commencer avant même la conception d’un enfant, lorsque les femmes apprennent qu’elles sont infertiles. Il s’agit également d’un deuil périnatal si l’enfant meurt avant d’avoir un an, selon Clara Blot, candidate au doctorat en psychologie. 

Faire ses adieux

En entrevue avec le Montréal Campus, Émilie Lafrance se remémore les événements traumatisants qui lui ont fait comprendre qu’elle allait perdre ses filles jumelles. « C’était encore tôt dans la grossesse, mais je les sentais quand même bouger dans mon ventre. Ce matin-là, je ne sentais plus rien du tout. J’ai appelé à l’hôpital pour me rassurer et aller faire des tests », explique-t-elle.

Rendue à l’hôpital, Émilie indique qu’une infirmière, puis un médecin, ont essayé de relever les battements de cœur des fœtus, sans succès. « Je regardais l’écran et je me souviens m’être dit dans ma tête : “Bougez, s’il vous plaît, bougez !”, mais je voyais bien qu’il ne se passait rien », indique la jeune femme, encore bouleversée par la situation. 

« Après quelques minutes, je me souviens avoir pris une grande respiration. L’infirmière qui m’accompagnait m’a pris la main, puis c’est à ce moment que tout s’est effondré. Le docteur m’a dit qu’il n’y avait plus de vie, tout simplement. » Elle renchérit : « Je me suis vraiment effondrée quand j’ai appris la nouvelle. J’ai été complètement dévastée, et je le suis encore. »

La perte d’Émilie entre dans l’ordre des fausses couches, selon Wissal Ben-Jmaa, cheffe de service de néonatalogie au Centre hospitalier de l’Université de Montréal, car ses enfants pesaient moins de 500 grammes et comptaient moins de 22 semaines de gestation au moment de la perte des fœtus. 

Une douleur minimisée

La néonatologue Wissal Ben-Jmaa est d’avis que peu importe l’âge de l’enfant qui décède, il n’est jamais facile pour un parent de vivre cette perte. « Il y a des idées préconçues dans la société comme quoi perdre un fœtus, c’est plus facile à vivre pour les parents que perdre un enfant qui a déjà vécu, parce qu’un enfant qui a déjà vécu, on l’a connu, on l’a chéri, on l’a aimé et on a des souvenirs avec lui », explique Mme Ben-Jmaa. 

Elle ajoute que « les études ont démontré que ce n’est pas vrai. La douleur parentale peut être aussi grande pour un fœtus que pour un enfant qui a déjà vécu, étant donné que le lien d’attachement avec cet enfant peut survenir dès qu’on apprend qu’on est enceinte ».

L’étudiante en psychologie Clara Blot abonde en ce sens. « La douleur des parents sera beaucoup minimisée. Ils vont vivre beaucoup de tristesse et de déni, parce qu’ils doivent vivre la perte du bébé, de la grossesse, du statut de parent et des congés de maternité », indique-t-elle. 

Pour Émilie, la douleur liée à cette perte est encore très vive. « Quand j’ai perdu mes filles, ça me faisait tellement mal que je me suis dit que je devais prendre la situation une journée à la fois, mais non. J’ai dû prendre ça 15 minutes à la fois, parce que c’était trop difficile  , relate l’endeuillée.

« Il faut que les gens comprennent que c’est tout aussi pénible, que c’est tout aussi douloureux et souffrant que de perdre un enfant qui a vécu. Ça reste un deuil parental, et il n’y a rien de plus difficile dans la vie que d’enterrer son propre enfant », explique Wissal Ben-Jmaa. 

Ce deuil, qu’Émilie qualifie comme « spécial », la touche encore à ce jour. « C’est un deuil que tu te fais d’un futur que tu t’es créé dans ta tête. C’est vraiment dire adieu à tout ce qu’on croyait devenir le reste de notre vie  , soulève-t-elle, très émotive.

Un nouveau départ

Malgré ce deuil, une excellente nouvelle a réjoui Émilie. « J’ai fait un test de grossesse et c’était positif », indique celle qui a appris qu’elle était enceinte en août dernier. 

Clara Blot note que sa grossesse risque d’être marquée par les événements traumatiques de l’ancienne. « Autour de la semaine de la perte de l’enfant, il est fréquent que les femmes aient des symptômes aigus et désagréables ». 

« Je dois dire qu’à 17-18-19 semaines de grossesse, j’ai eu de grosses migraines, parce que ça tombait en même temps que j’ai perdu mes filles. Maintenant, tout va mieux et tout le monde est en bonne santé ! », se réjouit Émilie.

La jeune mère a mis au monde son petit garçon, Charles-Edward, le 12 avril dernier. « Les filles sont et seront toujours avec moi dans mon cœur. J’ai aussi leurs petites urnes près de moi, sur ma table de chevet dans ma chambre. Mon fils, je vais lui parler de ses grandes sœurs, ça, c’est certain », mentionne-t-elle. 

Mention illustration  : Camille Deheane|Montréal Campus

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