Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 novembre 2022
Force est de constater que les bancs de l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal ne sont pas très colorés. Le baccalauréat en journalisme compte sept étudiants et étudiantes issu(e)s de minorités visibles dans ses trois cohortes. Ces personnes d’horizons variés ont un seul et même objectif : devenir les journalistes de demain.
La plupart s’implique dans les médias étudiants, notamment au sein du Montréal Campus, de L’Apostrophe, du Culte ou de CHOQ. Faire partie de ces groupes leur permet de donner une voix aux enjeux qui les touchent et de visibiliser les communautés marginalisées.
En comparaison avec les grands médias du Québec, on réalise qu’un plus important effort d’inclusion se met en place au sein des médias étudiants. Cependant, il y a encore du chemin à parcourir.
Cette sensibilité à la diversité donne de l’espoir aux étudiants et aux étudiantes racisé(e)s qui peuvent avoir du mal à se projeter comme journalistes dans les médias traditionnels. « Je vois la possibilité de pouvoir changer les choses, mais je sais que je ne peux pas faire ça tout(e) seul(e). Quand je vois les gens autour de moi, je vois l’avenir d’un bon oeil, même si on doit donner beaucoup plus d’énergie que les autres pour changer les mentalités », pense Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo, étudiant(e) membre de la nation Anichinabé en deuxième année au baccalauréat en journalisme.
S’identifier
Qu’est-ce qui explique le faible taux de personnes racisées étudiant en journalisme? Selon Patrick White, directeur du baccalauréat en journalisme, ce programme n’est pas leur premier choix. « Il ne faut pas oublier qu’il y a des champs d’études qui attirent plus de candidats issus de l’immigration que d’autres », affirme-t-il.
Je remarque que les personnes racisées préfèrent se tourner vers des domaines d’études plus sécuritaires financièrement comme la gestion, les sciences ou les finances.
À titre personnel, c’est le manque de représentation qui m’a longtemps éloignée du journalisme. Ne me reconnaissant pas parmi les journalistes de grandes entreprises médiatiques, j’avais abandonné la course avant même d’enfiler mes souliers.
Voir une personne qui nous ressemble et qui a un rôle important dans les médias nous permet de réaliser que nous avons une place dans la société. Donner la parole à des groupes minoritaires dans l’espace public permet aux personnes qui ne les côtoient pas habituellement de les connaître et de comprendre leurs enjeux.
J’ai parfois de la difficulté à me projeter comme employée dans un média. J’ai peur d’être embauchée ou consultée seulement parce que je suis une personne racisée, plutôt que pour mes compétences en tant que journaliste.
Être une personne racisée et étudier dans le baccalauréat en journalisme peut parfois être éprouvant quand il s’agit d’aborder certaines thématiques. « Parfois, j’aimerais parler des sujets qui touchent ma communauté, mais on est tellement peu issus de minorités dans le bac que ça devient compliqué », souligne Doualeh Ibrahim, étudiant en deuxième année au baccalauréat en journalisme. « Mes réalités ne sont pas celles de la grande majorité, mais heureusement, je suis entouré de bonnes personnes qui me soutiennent et qui sont très ouverts sur de nombreux sujets », poursuit-il.
Se réinventer…
En 2018, le service de l’information de Radio-Canada a pensé à de nouvelles façons de favoriser la diversité. Le média a établi un « plan sur l’équité, la diversité et l’inclusion », prévu de 2022 à 2025.
Ce programme vise des actions concrètes pour déconstruire les discriminations touchant les personnes autochtones, racisées, en situation de handicap ou membres des communautés LGBTQ2+. Le service d’information souhaite que ces groupes soient représentés dans leurs reportages ainsi qu’au sein de leurs équipes.
« Quand je suis arrivée à Radio-Canada il y a quatre ans, la diversité, je la voyais moins qu’aujourd’hui », confie le journaliste à Radio-Canada d’origine libanaise et irakienne Hadi Hassin. « J’ai travaillé trois ans dans les bureaux de Québec et depuis que je suis revenu à Montréal il y a quelques mois, je réalise qu’il y a eu un gros changement. Radio-Canada est sensible au fait qu’on manque de diversité dans les médias », raconte-t-il.
…vraiment ?
Alors que certains médias font des efforts pour devenir plus inclusifs, le public peut parfois être hostile au changement. Au Canada, Fatima Syed, journaliste pour The Narwhal, a affirmé à l’été 2022 qu’en six ans de carrière, elle avait reçu environ 150 messages de haine. Elle a été menacée de se faire agresser sexuellement et d’être mise à genoux pour être tuée comme en Afghanistan.
Même si les médias font de leur mieux, il arrive qu’ils œuvrent de la mauvaise manière. Des employé(e)s et des ex-employé(e)s de Radio-Canada ont dénoncé « une diversité de façade » dans un article de La Presse publié le 14 novembre dernier. L’un d’entre eux et elles raconte avoir vu des collègues blancs et blanches avec moins d’expérience et de connaissances se faire ouvrir des portes qui sont restées fermées pour lui. « La diversité pose problème, parce qu’elle brise le consensus », explique le travailleur de l’information dans l’article. « Des gens se sentent menacés et construisent des digues subtiles et sophistiquées pour se protéger », estime-t-il.
En entrevue avec La Presse, Luce Julien, directrice générale de l’information de Radio-Canada, s’est dit désolée de savoir que ce projet d’inclusion stagnait aux yeux de plusieurs. Elle a mentionné que 30 employé(e)s issu(e)s des minorités visibles, avaient été embauché(e)s par Radio-Canada depuis l’été 2021. Ces efforts sont encourageants, mais ils peuvent être mal perçus par les personnes racisées. Ces dernières peuvent avoir l’impression de n’être qu’une nouvelle couleur sur la palette des salles de presse.
Illustration : Malika Alaoui | Montréal Campus
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