« Opération Scorpion » : une autopsie 20 ans plus tard

La partie immergée de l’iceberg du proxénétisme n’aura jamais été aussi visible. Opération Scorpion, un livre de Roger Ferland et Maria Mourani paru le 3 novembre dernier, examine avec précision l’une des plus grandes enquêtes du Québec. Plongeon dans les abysses d’un monde criminel qui pourrait faire pâlir la fiction.

À l’automne 2002, l’enquête policière Opération Scorpion démantèle un réseau de prostitution juvénile qui enclavait la Ville de Québec. C’est par les lunettes criminologiques de Maria Mourani et l’expertise de l’ancien sergent-détective Roger Ferland qu’est raconté, dans leur nouveau livre, ce point tournant de la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineur(e)s au Québec.

Rien n’est laissé de côté : des interventions policières aux procédures judiciaires en passant par les victimes, l’immersion de plus de 300 pages est fidèle à la réalité. L’intrigue policière tiendra son lectorat éveillé.

« Ce livre n’est pas juste une histoire. Il a un but précis. Celui de faire en sorte que le lecteur comprenne que le problème est toujours là, de le comprendre, d’en être sensibilisé [et] d’être un acteur important pour le changement », déclare Mme Mourani. Elle ajoute que le problème de prostitution juvénile n’a pas été réglé en 2002 et qu’il reste toujours d’actualité.

Les rouages d’une organisation dangereuse

Le travail de l’auteur et de l’autrice est une synthèse épatante. L’Opération Scorpion a révélé en 2002 que le réseau de prostitution juvénile avait fait 61 victimes. 43 personnes ont ensuite été accusées par le Service de police de la Ville de Québec, et sur ce nombre, 41 ont été condamnées. 

Au front de ce réseau : des hommes d’affaires, des criminels appartenant à des gangs de rue, et même des personnalités connues comme Robert Gillet, un ex-animateur de radio. Des dizaines de témoignages de victimes sont répertoriés dans l’ouvrage, ce qui donne une humanité remarquable au livre qui sensibilise le lecteur ou la lectrice. Les témoignages détaillent notamment les techniques d’approches des proxénètes, des manipulateurs sans remords.

Les victimes racontent le sentiment de s’être fait voler leur âme. Bien que ces organisations soient redoutables, cela n’empêche pas Maria Mourani de mettre de l’avant les faits dans le respect. « Même si les criminels ne sont pas contents et ne te perçoivent pas comme un ami, parce qu’au fond tu n’es pas un ami, ils vont te respecter puisque tu es là pour apporter des faits dans le respect », atteste la criminologue.

Mme Mourani n’en est pas à son premier livre sur la criminalité. Avec La face cachée des gangs de rue et Gangs de rue inc.: leurs réseaux au Canada et dans les Amériques qui figurent dans son portfolio littéraire, Opération Scorpion était entre bonnes mains. 

Quant à Roger Ferland, il était sur place au moment de l’Opération Scorpion. Nommé enquêteur au Service de police de la Ville de Québec en 1997, il raconte les impasses et les échanges parfois coriaces avec les criminels qu’il a connus durant le début des années 2000, pendant l’enquête. 

L’ex-détective a scruté à la loupe des groupes criminels comme le Wolf Pack. Pour approcher les victimes, le chef se présentait comme le gérant de Lyon Makhiaveli Productions, une maison de disques pour les jeunes talents du monde du rap au Québec. D’autres membres du Wolf Pack se présentaient comme recruteurs d’artistes pour susciter l’intérêt des jeunes filles. 

Un progrès, lentement mais sûrement

« Scorpion a mis le pavé dans la mare », atteste Mme Mourani au sujet de l’enquête. « Avant, on ne touchait pas au [client]. Le client était encore roi, il pouvait faire ce qu’il [voulait]. C’était la première fois qu’on voyait des [clients] se faire arrêter, et en plus des hommes de pouvoir », affirme-t-elle. Depuis 2002, des nouveaux projets de loi, tels que le projet de loi C-36 déposé en 2014, encadrent de nouvelles infractions entourant prostitution au Canada. Il interdit notamment l’achat de services sexuels. 

Le proxénétisme reste à ce jour le deuxième commerce le plus lucratif après la drogue dans le milieu criminel. Selon Mme Mourani, il y a tout de même des avancées en ce qui concerne les victimes, même si le roman n’est pas explicite à ce sujet : « Maintenant, on considère la victime comme une victime. On ne la considère plus comme si elle l’[avait] cherché. »  Pour ces femmes, l’ouvrage de quelques centaines de pages représente un épisode sombre de leur vie qui les hante encore. 

Mention photo : Camille Dehaene | Montréal Campus

 

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