Le militantisme, plus qu’un « j’aime » sur les réseaux sociaux

Photos de profil aux couleurs du drapeau ukrainien, récits de guerre émouvants, nouvelles et infographies : les réseaux sociaux sont inondés par une vague de soutien envers l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe. Plusieurs ont voulu témoigner de leur empathie et de leur effarement par rapport à la situation. Ces messages de solidarités sont parfois qualifiés de militantisme performatif.

Le slacktivisme, notion dérivée de l’anglais, a été particulièrement dénoncé en juin 2020, alors que des millions de personnes avaient partagé sur Instagram un carré noir en soutien au mouvement Black Lives Matter dans le cadre du #blackouttuesday. La superficialité de cette action avait été dénoncée, une critique qui ressurgit à l’heure de l’engagement citoyen en ligne au sujet de l’Ukraine.

Pour André Caron, professeur émérite en communication à l’Université de Montréal, le militantisme performatif réfère à l’utilisation des luttes sociales dans le but de faire la promotion de soi, plutôt que de la cause elle-même. Le slacktivisme ne serait pas un synonyme de militantisme performatif, mais plutôt une version « timide » du phénomène, qui a gagné du terrain depuis 20 ans.

L’utilité du militantisme de performance

Le militantisme performatif devient problématique « quand cette dimension ne se traduit pas par une action concrète », selon Albert Lalonde, étudiant(e) en droit à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et militant(e) de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES). Il est néanmoins difficile de juger les motivations d’une personne à publier du contenu à saveur politique sur les réseaux sociaux.

Le militantisme est aussi une question de privilège et d’éducation populaire, selon Albert Lalonde, et on ne peut pas reprocher aux gens de ressentir de l’empathie. Iel précise toutefois que, dans un contexte de lutte contre le racisme, ceux et celles qui s’indignent contre le militantisme de performance ont tout à fait raison de le faire et que « ça dépend du combat ».

Martine Delvaux, professeure en littérature à l’UQAM, écrivaine et essayiste féministe, considère également les réseaux sociaux comme un « lieu de mobilisation » qu’il ne faut pas ignorer. Elle reconnaît qu’il est vrai, dans le cas du #blackouttuesday, que le militantisme performatif peut être perçu comme étant « hypocrite » lorsqu’on ne s’intéresse pas à la lutte contre le racisme en dehors des réseaux sociaux.

Cependant, l’engagement citoyen en ligne peut servir à manifester son soutien. Amanda Émard, étudiante à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), a changé sa photo de profil pour un drapeau de l’Ukraine parce qu’elle était en Europe lors du début de l’invasion russe, et qu’elle a ressenti la peur, même si elle doute aussi de l’impact de publier sur les réseaux sociaux.

Poussettes, tomates marinées et désinformation

Un jour, une photo de poussettes laissées sur un quai d’embarquement de train en Pologne pour les femmes et enfants ukrainiens et ukrainiennes fait fureur sur Instagram. Un autre jour, il s’agit d’une vidéo d’une Ukrainienne qui lance une conserve de tomates marinées sur un drone russe.

Les récits et les photos portant sur l’Ukraine circulent abondamment sur les réseaux sociaux. « Pourquoi instrumentalise-t-on ces images? », questionne Martine Delvaux. Ces histoires véhiculent un message qui perdure depuis longtemps dans l’imaginaire de la guerre, celui « des femmes et des enfants d’abord », souligne-t-elle.

Les récits de tomates marinées et de poussettes demeurent anecdotiques. Publier sur les réseaux sociaux au sujet de l’invasion russe de l’Ukraine peut néanmoins mener au partage de vidéos et de photos détournées de leur contexte. La désinformation et la mésinformation pullulent sur ces plateformes. Des soldats américains, par exemple, sont toujours vivants, bien que des médias russes aient annoncé leur décès.

Toutefois, les réseaux sociaux permettent de sortir de la « perspective dominante » proposée par les médias traditionnels, selon Albert Lalonde. Iel utilise, entre autres, son compte Instagram pour parler de causes qui ne font pas les manchettes, comme les revendications Wet’suwet’en.

Tous et toutes sur le piédestal

Un autre versant du militantisme performatif est le gain de réputation. M. Caron ajoute qu’il est « rentable économiquement » pour les influenceurs et les influenceuses de profiter de causes sociales afin de servir leur propre promotion et de vendre des produits dérivés. Pour Amanda Émard, c’est plutôt l’inverse d’une promotion de soi qu’elle souhaitait faire en changeant sa photo de profil : « Je voulais me retirer du spotlight. Je sais que quand les gens voient mes publications, ils voient la photo du drapeau de l’Ukraine et non moi»

Il est facile de couvrir d’éloges les militantes et les militants qui sont très présents et présentes sur les médias sociaux. Albert Lalonde rappelle que nous oublions trop souvent le « travail invisible » qu’implique l’engagement. Il demeure qu’il est « sain de montrer le militantisme, ces modèles-là doivent exister dans l’espace public, ajoute-t-iel. On veut avoir des modèles ».

Mention photo Manon Touffet | Montréal Campus

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