Quand le tokénisme et le marketing deviennent synonymes

Avec son film En avant, Pixar avait fait l’annonce que la compagnie mettrait de l’avant un personnage ouvertement gai pour la première fois. « Enfin », m’étais-je dit naïvement. Bien que Pixar soit réputé pour ne pas avoir le meilleur parcours en termes de représentation des communautés marginalisées, En avant semble être le début prometteur d’un changement attendu depuis plusieurs années déjà.

Bien que le personnage en question, l’officière Specter, soit ouvertement lesbienne, elle n’apparaît que dans une seule scène et n’a que quelques répliques, qui n’ont pratiquement aucun impact sur le cours de l’histoire du personnage principal. Les autres personnages de En avant ne font jamais mention de l’officière Specter en dehors de cette unique scène. Une déception prévisible qui place encore la communauté queer en simple objet d’attaction.

Pixar n’est pas peu familier à l’idée de mettre des personnages homosexuels à l’arrière-plan. Des couples de même sexe peuvent être aperçus (en fixant l’écran de la manière la plus attentive qui soit) en tant que personnages secondaires dans Trouver Doris (2016) et Histoire de jouets 4 (2019), ne disant que quelques mots tout au plus. S’attendre à un personnage homosexuel(le) ayant un réel impact sur le récit de En avant était très, très naïf de ma part.

Cette décision d’inclure avec hésitation des membres de la communauté LGBTQ+ dans des films d’animation n’est certainement pas étonnante.

La Chine est un énorme marché pour le cinéma d’animation, mais les films montrant des personnes issues de la communauté LGBTQ+ en sont presque automatiquement bannis. En effet, la Chine a interdit en 2016 toute représentation de « relations sexuelles anormales » : sans surprise, l’homosexualité entre dans cette catégorie aux yeux du gouvernement chinois.

Pour séduire à la fois le marché chinois et la communauté LGBTQ+, Pixar amène de la diversité dans ses films au compte-gouttes, jamais de manière explicite. En jouant sur les deux tableaux, la compagnie réussit à ce que ses films ne soient pas bannis en Chine, tout en se donnant une légère allure progressiste aux yeux du marché occidental. Un portrait on ne peut plus complet du tokénisme.

Le tokénisme est une « pratique consistant à faire des efforts symboliques d’inclusion vis-à-vis de groupes minoritaires dans le but d’échapper aux accusations de discrimination », selon le livre Social Psychology de Michael A. Hogg et Graham M. Vaughan publié en 2008. Le tokénisme peut être bénéfique tant pour l’image que pour le portefeuille d’une compagnie. Cependant, ces efforts souvent minces d’inclusion ne découlent pas nécessairement d’une mauvaise volonté, mais ne contribuent pas non plus à améliorer concrètement la représentation de la diversité à l’écran.

La ligne entre l’inclusion de la diversité et le tokénisme peut être très fine. De toute évidence, avoir un personnage secondaire homosexuel(le) n’est pas une mauvaise chose en soi. Alors, comment départager l’inclusion réelle du tokénisme?

L’experte en communication Sabrina Wijaya explique dans l’un de ses articles cette différence. L’inclusion réelle perdure, et permet également d’adopter des comportements inclusifs qui comptent concrètement, comme de créer des personnages principaux gais, par exemple. S’assurer d’avoir de la diversité à l’écran ne vaut rien si la parole n’est jamais réellement donnée à cette diversité.

Dans l’article Tokenism and Representation: A Fine Line in Popular Media, paru en 2020 dans la revue The Volume Collective, la journaliste Joanna Dias affirme que le tokénisme est un une forme de discrimination moderne. « Le tokénisme pourrait être considéré comme la version édulcorée et diététique des préjugés du passé, son impact s’insinuant dans les communautés sous le couvert de l’allié », estime-t-elle.

Quand la compagnie Pixar mettra-t-elle vraiment de l’avant la diversité sexuelle? Difficile à dire, considérant la résistance qu’a ce studio au changement. Repérer des membres de la communauté LGBTQ+ dans les films de Pixar est plus difficile que d’apercevoir leur iconique camion de pizza, de film en film.

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