Les enfants vedettes aux oubliettes

Plusieurs enfants ont la chance de se produire pour le cinéma québécois, mais seulement une poignée d’entre eux et elles deviennent acteurs ou actrices. Ces jeunes vivent leur passion, mais peuvent tout perdre du jour au lendemain.

Irlande Côté avait 12 ans lorsqu’elle a été nommée dans la catégorie meilleure actrice dramatique pour la série web Claire et les vieux à la cérémonie des Gémeaux, en 2021.

Sa mère, Valérie Chapdelaine, qui travaille pour l’agence artistique pour enfants et adolescents Kaboom, précise qu’Irlande n’a pas toujours compris le but de toutes ces cérémonies de remise de prix.

Pendant l’enfance de sa fille, Valérie a insisté pour qu’elle comprenne que « le prix, c’est d’être nommé, pas nécessairement de gagner. »

Nouvellement entrée à l’école secondaire, c’est « plus difficile à suivre niveau scolarité, contrairement au primaire où il y avait plus de soutien », rapporte Valérie. Pour elle, il est essentiel que sa fille ne mise pas que sur le jeu : c’est pourquoi elle a insisté auprès de chacune des productions pour lesquelles Irlande a joué afin qu’un budget soit alloué à la famille pour lui payer un tuteur ou une tutrice.

Avant d’enchaîner les rôles, Irlande a foulé les plateaux de tournage de sa grande sœur dès son plus jeune âge.

Au fil des années, la jeune actrice « a réalisé qu’elle donnait tout ce qu’elle avait à chaque audition et que si ça ne fonctionnait pas, ce n’était pas plus grave que ça », précise sa mère.

Évaluation des parents

Valérie Chapdelaine s’inquiète toutefois de la période à venir. Bien consciente de la réalité du milieu, la mère sait que sa fille arrive à l’âge où se trouve un fossé important entre les rôles d’enfant qui sont abondants, et ceux d’adolescent qui sont plus rares.

La mère réitère l’importance de la présence des parents et précise que l’agence artistique pour laquelle elle travaille les « auditionne » en même temps que les enfants.

Une personne de l’agence s’assoit dans la salle d’attente et « évalue » les comportements des parents afin d’éviter de prendre un enfant évoluant dans un milieu qui pourrait lui nuire, comme un environnement où il y a de la pression, par exemple.

La lumière s’éteint

Katerine-Lune Rollet a joué dans la populaire émission Watatatow de 1991 à 2000. Alors âgée de 16 ans, elle est entrée dans le milieu par le biais d’un concours organisé par le Journal de Montréal, auquel plus de 3500 enfants avaient participé. Elle a multiplié les saisons de « Wata » et les animations jeunesse. 

Après 16 ans d’activité à l’écran, le téléphone a arrêté de sonner.

Tout comme les joueurs et les joueuses de hockey qui doivent raccrocher leurs patins car ils et elles n’ont pas été repêché(e)s, du jour au lendemain, l’identité des jeunes acteurs et actrices disparaît. « Pendant une bonne partie de ta vie, c’est tout ce que tu es, tu es reconnue comme actrice », affirme la comédienne.

Toutefois, elle a toujours été bien consciente de l’importance d’un plan B. « Je suis une des seules enfants de Watatatow à être allée à l’université! », s’exclame-t-elle. C’est pourquoi Katerine-Lune a complété un baccalauréat en journalisme qui lui a permis par la suite d’animer et de faire plusieurs chroniques à l’émission Infoman, notamment.

Le brusque choc de l’extinction des feux a tout de même été bouleversant pour Katerine-Lune.

Cette dernière ne pouvait pas recommencer à zéro, car peu importe où elle allait, les gens la reconnaissaient. « J’ai donc commencé à travailler comme concierge dans un hôtel international de Montréal », raconte-t-elle.

Là-bas, les touristes ne savaient pas qui Katerine-Lune était. S’il s’agit d’une expérience qui lui a permis de se recentrer, c’est aussi la période où elle a dû faire « le deuil de son identité ».

L’art de s’adapter

Selon la professeure titulaire en psychologie sociale à l’Université de Montréal Roxane de la Sablonnière, changer d’identité peut aider à combler la perte d’une partie de celle-ci. La chercheuse affirme que « chaque personne vit des crises identitaires au cours de sa vie ».

« Tout comme un immigrant lorsqu’il arrive dans un nouveau pays, l’acteur ou l’actrice qui entre dans cette période d’ombre s’inscrit dans un processus d’intégration d’une nouvelle identité », précise Mme de la Sablonnière.

Ce processus se fait en quatre étapes. Il commence par celle de l’anticipation, au cours de laquelle l’acteur ou l’actrice se demande quoi faire maintenant qu’il ou elle a perdu ce qui l’identifie.

Vient ensuite la catégorisation, ou l’identification des différences entre les deux modes de vie.

S’ensuit l’étape du vacillement, alors que l’artiste peut tenter de garder un pied dans l’industrie.

Finalement, arrive la dernière étape, soit celle de l’intégration.

Katerine-Lune Rollet a vécu son « intégration » récemment, alors qu’elle a su utiliser ce que le monde de la télévision lui a appris afin de revenir à quelque chose qui la rejoint. L’ancienne de Watatatow a décidé de se consacrer complètement à l’animation d’événements, qui lui fait revivre cette passion, mais dans un environnement différent.

Les enfants vedettes rencontrent tous et toutes, à un moment ou un autre de leur parcours, une période creuse. « L’essentiel est d’être bien outillé », affirme la professeure titulaire en psychologie sociale Roxane de la Sablonnière.

Selon elle, la meilleure astuce réside dans le renouvellement d’identité qui viendra apporter de la lumière dans cette période qui peut être compliquée pour la relève du cinéma québécois.

Une illustration de Malika Alaoui | Montréal Campus

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