Le service à la clientèle en quête de douceur

« Nous n’acceptons aucune forme de violence », « Aucun manque de respect envers nos employé(e)s ne sera toléré », « Merci de votre patience ». Ces messages d’incitation au respect sont partout : restaurants, cliniques, centres de loisirs, et la liste s’allonge. Leur portée semble toutefois minime, constat symptomatique d’une ère pandémique où la bienséance serait devenue secondaire.

Delphine Grou est employée dans un complexe sportif, un lieu que l’on pourrait supposer synonyme d’agrément. Pourtant, il est souvent le théâtre de comportements désagréables. « Je dirais qu’un client sur trois se plaint du passeport vaccinal », partage-t-elle. Et quand ce n’est pas le passeport, ce sont d’autres mesures sanitaires, comme le port du masque obligatoire, qui déclenchent une irritation.

L’étudiante en droit à l’Université de Montréal en est convaincue : une « écœurantite générale » s’est installée depuis le début de la pandémie. Son complexe du quartier Villeray, par exemple, a mis sur pied un système de reconnaissance du statut vaccinal pour éviter de vérifier ce dernier à chaque nouvelle entrée. Plusieurs membres n’ont néanmoins pas voulu l’utiliser. « On m’a dit que c’était trop compliqué », soupire Delphine.

La jeune femme attire également l’attention sur les traitements inégaux réservés à ses collègues selon leur genre. « Certains clients sont bien plus désagréables avec les femmes. Ils sont tellement condescendants », regrette-t-elle. L’étudiante ne doit donc pas uniquement composer avec une impatience généralisée : une couche de sexisme enduit aussi son travail.

Autant de réponses que d’individus

La professeure au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Marie-France Marin dénombre quatre caractéristiques pouvant déclencher une réponse de stress : une situation impossible à contrôler, imprévisible, nouvelle ou menaçante envers l’ego.

La COVID-19 coche les cases des trois premières caractéristiques.

« On ne réagit pas tous de la même façon, rappelle toutefois Mme Marin. Certaines personnes sont irritées et à cran, d’autres pleurent. » La professeure explique aussi qu’il est fréquent, lorsque confronté(e) au stress, d’être moins tolérant et tolérante. Par exemple, attendre longtemps avant d’obtenir un service peut être éprouvant. Une réalité qui est souvent exacerbée par un manque de personnel, contrecoup de la pandémie à travers lequel plusieurs commerces doivent naviguer.

Des messages à lire, mais surtout à comprendre

Devant la contrariété, les chances que quelques mots sollicitant le respect aient un réel impact sont maigres, estime Mme Marin. « Lorsqu’on est fâché, les émotions prennent le dessus, indique-t-elle. Ce n’est pas un bout de papier qui fera le travail. » La professeure ne minimise cependant pas la présence de ces avertissements, qui sont probablement lus et internalisés par une clientèle plus posée. « C’est un petit rappel qui sème une réflexion », avance-t-elle ; un rappel du contexte tendu du service à la clientèle en pleine pandémie.

Bianca Perron, étudiante libre à l’UQAM et employée dans une clinique qui offre entre autres des services d’orthèses, a eu vent d’évènements troublants dans son milieu de travail. Coups dans les Plexigas, crachats, grande impatience… Avant l’arrivée de la COVID-19, affirme-t-elle, ces épisodes n’étaient qu’anecdotiques.

Maintenant, leur fréquence a poussé la direction de la clinique à tapisser ses murs de messages incitant au respect. Comme Marie-France Marin, l’étudiante émet des doutes quant à leur pouvoir. « Ce sont les gens patients qui vont les lire, ceux qui attendent en file sans être occupés à se fâcher », exprime-t-elle.

La problématique est plus profonde, rappelle Mme Marin. Les employé(e)s se déplacent tout de même pour travailler, alors qu’ils et elles pourraient faire le choix de s’enfermer dans leur chez-soi, poursuit la professeure. Un facteur suffisant, à ses yeux, pour faire preuve d’indulgence – et pour se conformer à ces mots collés un peu partout dans les commerces du Québec.

Mention photo Augustin de Baudinière | Montréal Campus

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