Alors que l’univers des drag queens s’inscrit dans la culture populaire internationale, notamment grâce à l’émission RuPaul’s Drag Race, la place minime occupée par les femmes dans la communauté drag king pousse à la réflexion.
« Le drag king est encore trop souvent associé à tort au simple “déguisement”, ou réduit à une pratique qui serait “le contraire du drag queen”. Les pratiques drag king peuvent se manifester sous diverses formes », explique le doctorant en sociologie de la sexualité à l’UQAM Clark Pignedoli.
Selon l’expert, le terme « drag king » regroupe de nombreuses pratiques ayant un dénominateur commun : le fait de reproduire, sur et à travers son corps, une masculinité. Dans certains cas, il s’agit d’un personnage masculin puisant dans un catalogue d’objets, d’accessoires et de techniques corporelles et, parfois, dans un répertoire performatif.
Place aux femmes!
Que ces pratiques se fassent sur scène ou dans l’intimité, l’univers des drag kings est bel et bien en expansion : Rock Bière, RV Métal et Niko Lubie le prouvent. Ces trois performeurs montréalais, ayant participé au concours Drag-Moi, produisent un spectacle tous les deux mois, dont les billets sont tous vendus à chaque représentation.
Pourtant, un clivage bien réel existe toujours entre l’univers des drag kings et celui des drag queens.
En effet, selon RockBière et RV Métal, moins de femmes sont attirées vers le domaine de la drag. « Je pense que c’est dû au fait que la communauté LGBTQ est dirigée majoritairement par des hommes blancs cisgenres et je pense que les femmes se sentent peut-être un peu moins impliquées là-dedans », avance RV Métal.
Un geste politique
Aux yeux de Rock Bière, le public est très réceptif aux spectacles de drag kings. Pourtant, question de choix ou de logistique, les cabarets drag produisent moins de spectacles de drag kings que de drag queens.
Clark Pignedoli abonde dans le même sens en soulignant que le faible nombre de spectacles de drag kings n’est pas synonyme d’un manque d’intérêt du public. Selon le chercheur, il est plutôt question d’enjeux précis liés à la misogynie et à l’histoire de l’univers drag.
« Les cabarets étaient des espaces de survie pour les femmes trans et les personnes travesties qui y travaillaient comme danseuses et performeuses », rappelle M. Pignedoli. Si elles étaient criminalisées dans l’espace public, leur présence était tolérée au sein de ces espaces où elles pouvaient travailler.
Lorsqu’il aborde l’histoire des femmes cisgenres et des personnes transmasculines, Clark Pignedoli explique que « dans le passé, le fait de porter des vêtements du genre opposé à celui attitré à la naissance était une pratique qui relevait plutôt du besoin de passer inaperçu pour pouvoir mener des existences ou des métiers interdits à leur genre d’assignation ».
M. Pignedoli conclut en ajoutant que, dans la société, la mise en scène caricaturale ou hyperbolique de la féminité est beaucoup plus tolérée que la caricature de la masculinité. Selon lui, si rire des hommes en les personnifiant sur la place publique était un geste politique lourd de conséquences durant des siècles, il est plutôt perçu comme un geste libérateur en 2021.
« On essaie de faire un statement politique en riant ouvertement de la masculinité toxique », explique Niko Lubie.
La place des drag kings à Montréal
« Je dois dire qu’en ce moment, on peut tout de même observer une montée du phénomène de drag king alors qu’il y a quelques années, il n’y en avait que trois ou quatre [à Montréal]. Dans la ville de Québec, par exemple, il n’y en a qu’un seul », déclare Niko Lubie.
Pourtant, les bookeurs, professionnel(le)s chargé(e)s de réserver les lieux de représentations pour les artistes, et les producteurs et productrices semblent encore réticent(e)s à donner un espace public aux spectacles de drag kings.
Malgré l’apparence ouverte et libertine de l’univers des drag kings, la profession est encore sujette à beaucoup de jugements. « Les drag kings doivent se donner 1000 fois plus que les drag queens pour être bookés dans un spectacle. Il y a très peu de bookeurs et de producteurs qui vont prendre des drag kings dans leurs shows », avoue Niko Lubie.
Tour à tour, les trois performeurs confient des histoires les ayant marqués alors que, jusqu’à tout récemment, certains cabarets refusaient de produire leurs numéros, parce qu’il s’agissait de numéros de drag kings.
Cependant, les trois artistes du divertissement s’entendent pour dire qu’assister à un spectacle de drag kings, c’est adopter cet univers-là pour la vie.
« Il s’agit d’initier les gens au drag king et ensuite, le tour est joué, explique RV Métal. Nos spectacles sont sold-out et les gens continuent de venir parce qu’ils adorent ça dès la première fois. Notre but premier comme performeurs, c’est de faire découvrir notre univers hyper riche aux gens et de leur montrer ce dont on est capables. »
Mention photo Édouard Desroches | Montréal Campus
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