Des vêtements qui « dégenrent »

Un nombre croissant de grandes marques de prêt-à-porter lancent, depuis 2010, des collections de vêtements unisexes destinés aux personnes cisgenres et non binaires. Toutefois, la clientèle reprochent à l’industrie de la mode un manque de diversité dans les choix proposés.

Lorsque les sections des friperies ou des boutiques sont séparées par genres, Alex Lacelle, qui s’identifie comme étant non binaire, navigue d’une division à l’autre en fonction de l’habit qu’elle recherche. « Je vais beaucoup dans les deux rayons faire un peu le tour. Je dois avouer que la plupart de mes chemises, c’est dans la section homme [que je les trouve] parce que chez les femmes, [elles sont] souvent plus fleuries et moins neutres », explique-t-elle.

Si Alex Lacelle confie ne jamais avoir éprouvé de difficulté à alterner entre les deux départements, elle a régulièrement été associée à un genre par les responsables de magasin ou la clientèle. Les remarques de ces personnes peuvent effrayer les personnes qui cherchent leur identité, d’après Catherine Veri, fondatrice de la marque montréalaise unisexe éponyme. Elle constate que l’offre de mode locale pour femmes reste très féminine. Celle dédiée aux hommes est très classique et souvent inadaptée aux individus qui tentent de combiner les genres.

Selon Philippe Denis, chargé de cours à l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM, certains éléments demeureront liés à l’identité féminine ou masculine. « L’exemple de la croisure et de la braguette l’illustre. Dans le vêtement dit sportwear ou unisexe, c’est le modèle masculin qui l’a emporté. On croise la gauche sur la droite. Ce fait est devenu tellement habituel que l’on n’y porte plus attention, même s’il reste lourd de sens », analyse-t-il.

L’émergence des marques non genrées

Créée en 2018, Veri tâche de complexifier les vêtements de collections non genrées souvent fades et amples. Ainsi, elle munit les vêtements qu’elle confectionne de ganses afin qu’ils demeurent ajustables et que la personne qui les porte puisse se les approprier. « Le carcan de charte des tailles ne donne pas beaucoup de place à l’inclusion. J’aime faire des vêtements qui peuvent se convertir en autre chose pour que les gens puissent s’approprier leur style avec les vêtements », ajoute-t-elle.

Alex Lacelle tente de mettre de l’avant des entreprises comme celle de Catherine Veri. Elle confie avoir récemment travaillé avec Silk Laundry, une marque australo-canadienne qui a lancé une collection non genrée. « Sur leur site web, il n’y a pas de catégorie homme-femme, mais juste des catégories chemises, robes. Je trouve [ça] vraiment le fun », illustre-t-elle.

Des codes renversés par les plus jeunes

Même si elle explore les rayons sans se préoccuper du genre depuis son adolescence, la pandémie a permis à Alex d’affirmer son style et de revisiter sa garde-robe sans se soucier du regard des autres. « Parfois, je me changeais une dizaine de fois dans ma chambre parce que je n’arrivais pas à trouver ce dans quoi j’étais confortable. Souvent, quand je finis par m’habiller, je réalise que j’essayais de [prouver] quelque chose. J’essayais de m’habiller [pour correspondre à ce que] les gens attendaient de moi ».

Selon Philippe Denis, aller à l’encontre du mouvement de l’hypersexualisation permettra de « dégenrer » les vêtements. « Il faut définitivement dégenrer le vêtement pour cette clientèle [non binaire], mais surtout d’un point de vue social », plaide-t-il.

Alex Lacelle observe déjà un changement chez les générations de moins de 20 ans, alors que sa propre expression stylistique ont pu être très mal perçues au même âge. « Je vois les jeunes qui explorent leur expression de genre, qui portent du maquillage pour le fun, du vernis à ongles, puis [des] vêtements différents. […] Ils se permettent des choses que je n’aurais jamais osé faire », conclut Alex Lacelle.

Mention photo Édouard Desroches | Montréal Campus

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