« Tu es entreprenante pour une asiatique » ou « je ne coucherais jamais avec des Noir(e)s » sont des exemples de commentaires empreints de racisme sexuel. Les personnes racisées doivent souvent vivre avec divers stéréotypes pouvant rendre les rencontres amoureuses inconfortables.
D’après la sexologue et candidate à la maîtrise en sexologie à l’UQAM Anne-Claudie Beaulieu, le racisme sexuel se décline en trois phénomènes. Il y a d’abord le rejet de tout potentiel sexuel ou amoureux avec un ou plusieurs groupes ethniques. Ensuite, la fétichisation consiste à désirer une personne seulement pour ses attributs ethniques ou pour vivre une « expérience » ; par exemple, vouloir coucher avec une personne arabe pour l’aspect jugé « exotique » de son origine. Finalement, les stéréotypes ethnosexuels sont toutes les généralisations de traits physiques ou de comportements sexuels attribués à un groupe. Les exemples les plus connus sont la grosseur du sexe masculin des hommes noirs ou l’attitude soumise des femmes asiatiques.
N’être qu’une origine
Sara*, une étudiante noire queer de 23 ans, raconte avoir été plusieurs fois victime de fétichisation sexuelle. Lors d’un échange sur une application de rencontre, on lui a déjà proposé de jouer le rôle d’esclave alors que son interlocuteur jouerait celui de maître d’esclave.
Pour se protéger, Sara a tendance à en rire, mais elle réalise tout de même les conséquences de ces expériences. « Quand je parle à une personne qui n’est pas de couleur, plus qu’avant, je suis consciente qu’on n’a pas le même vécu. Est-ce que tu me fétichises? Tu veux jouer à un jeu ou tu me trouves réellement attirante? », questionne-t-elle.
Les expériences de racisme sexuel peuvent être vécues de façon humiliante et déshumanisante, expose Mme Beaulieu. À force de rejets, la recherche de partenaires sexuels ou amoureux peut devenir laborieuse dû au nombre restreint de personnes intéressées. Une méfiance envers l’autre peut également s’installer, ajoute la sexologue. Ces refus catégoriques peuvent miner l’estime de soi et créer un racisme internalisé. « [Certaines personnes] ont intériorisé les standards de beauté qui tournent autour des personnes blanches comme étant ce qui est le plus désirable », déplore-t-elle.
Les poupées russes du racisme
Le racisme sexuel est insidieux puisqu’il concerne l’intimité et qu’il est souvent justifié par les préférences, plaide la sexologue et psychothérapeute Annabel McLaughlin. Pour elle, si avoir des préférences est normal, on peut se demander d’où elles viennent. « Il y a un apport historique dans le racisme sexuel. Dans le temps des conquêtes militaires, des guerres, [de] la colonisation, [de] l’esclavage, la sexualité a été utilisée comme un outil de contrôle [des personnes racisées]. Et après, la pornographie s’est un peu emparée de [cet héritage raciste] », décrit la sexologue.
Dans la pornographie, les catégories ethniques définissent et accentuent les stéréotypes ethnosexuels et la fétichisation, précise-t-elle. Sara estime qu’avoir de telles catégories est déplacé. « Les gens qui regardent ces sous-catégories pensent […] que coucher avec une personne racisée, ça va se passer exactement comme ça », rapporte-t-elle.
Étranger dans son pays
Si les stéréotypes ethniques contribuent à créer des catégories et à priver les personnes touchées de leur individualité, celles-ci se sentent alors obligées de se justifier lorsqu’elles sortent du cadre leur étant imposé, explique Mme Beaulieu. « Si en tant que femme racisée tu déroges de ces stéréotypes, c’est constamment devoir négocier, essayer de réaffirmer ton identité avec l’autre. C’est une charge mentale importante », avance-t-elle.
Face à ce lot de stéréotypes auxquels se butent les personnes racisées, certaines d’entre elles éprouvent de la difficulté à trouver un ancrage identitaire. Certaines personnes blanches se permettent de « décrire les autres comme étant exotiques et différents, c’est une façon de rappeler à l’autre qu’il est étranger même dans son propre pays [et] quand des personnes racisées sont nées au Québec », expose-t-elle.
Effacer les biais
Anne-Claudie Beaulieu souligne que « des représentations non stéréotypées [dans les médias] peuvent jouer un rôle pour résister [au] racisme sexuel. » Si les gens ne se rendent pas nécessairement compte de leurs biais, le fait de les nommer leur permettrait aussi de reconnaître les effets que leurs actions ont sur les autres, fait valoir la sexologue.
Sara rappelle que la tâche d’éduquer ne revient toutefois pas aux personnes racisées. Elle témoigne avoir désormais tendance à davantage fréquenter les personnes de couleur. « Avec les personnes racisées, ce n’est jamais de ma couleur de peau [dont il est question]. Je n’ai pas besoin de me justifier », confie-t-elle.
*Nom fictif afin de préserver l’anonymat.
Illustration Édouard Desroches | Montréal Campus
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