Les grands espaces : roman aux frontières brouillées par le froid

Avec Les grands espaces, Annie Perreault signe son troisième roman. L’autrice et doctorante en études et pratiques des arts à l’UQAM explore, dans cette œuvre intime et pleine de sensibilité, l’intensité des grands froids qui glacent les paysages nordiques et qui érodent des amitiés.

Anna, une jeune femme en quête de liberté qui ne se sent chez elle nulle part, se lance dans la traversée du lac Baïkal, au nord la Russie. Indomptable, la protagoniste se frotte aux forces de la nature qui la confrontent au flot de ses émotions refoulées.

Annie Perreault, qui s’est entretenue avec le Montréal Campus, désirait explorer les façons dont la géographie façonne les individus, ainsi que leurs rapports aux paysages et aux saisons. « Les grands espaces, c’est aussi comment parfois, même quand on est proche de quelqu’un, l’espace à franchir pour accéder à cette personne peut sembler très vaste », ajoute-t-elle.

Voyages sans boussole

Le roman se déploie au gré des points cardinaux et des époques. Anna raconte son amitié brisée avec Gaby, à l’homme qui l’accueille chez lui, surnommé l’Ours. Elle lui décrit une voyageuse fougueuse rencontrée dans une cabine du Transsibérien plusieurs années auparavant. Gaby, quant à elle, fait part à Anna de l’histoire de sa tante Eleonore, une femme à l’esprit trop libre pour son temps. Cette dernière, des années auparavant, s’était éprise du cosmonaute Youri Gagarine. « J’aimais l’idée que les personnages, plutôt que de se confier ou de parler d’eux-mêmes, allaient raconter l’histoire de quelqu’un d’autre », mentionne l’autrice.

« Les personnages féminins audacieux et libres, c’est une forme d’hommage aux nombreuses femmes que j’ai croisées dans ma vie qui avaient ce courage de mener les vies qu’elles voulaient mener », confie Annie Perreault. Anna, Gaby et Éléonore sont marquantes chacune à leur manière.

Toutes ces femmes, dont l’unicité les rend si attachantes, ont « une boussole cassée dans le coeur », et s’accrochent aux éléments de la nature pour retrouver leur nord. La plume de l’écrivaine se trempe de sensualité en parlant d’elles et on ressent la chaleur des corps pulser en union avec les horizons blancs de la Sibérie.

L’influence de la géographie

Annie Perreault explique que ses romans naissent toujours d’un lieu précis qu’elle souhaite explorer. C’est sur le lac Baïkal que se campe cette histoire, endroit sacré pour les Russes, qui revêt une symbolique très forte pour l’autrice. « Je suis allée courir un marathon sur le lac Baïkal en mars 2020, je voulais vivre l’expérience de la traversée dans le froid. […] J’ai trouvé cet endroit tellement grand, tellement beau », évoque-t-elle.

Cette étendue d’eau se transforme d’ailleurs en un personnage omniscient. « Le cycle de l’eau, depuis des millions d’années, a été témoin de plein de choses sur ses berges et à sa surface. Le lac devient un narrateur qui sait tout de la traversée d’Anna, qui représente à la fois une menace et une certaine sagesse, une connaissance », résume l’écrivaine.

Écrire à l’instinct

Portant bien son titre, Les grands espaces est un objet littéraire qui ratisse large. Annie Perreault explore plusieurs styles d’écriture : de la fiction pure à des passages autobiographiques, en passant par le récit de voyage et un style parfois encyclopédique, elle joue sur plusieurs tableaux. « Je n’aime pas tellement les étiquettes, j’ai accepté de prendre des libertés. J’aime que les frontières se brouillent », partage-t-elle. 

Des structures littéraires singulières, qui ne sont pas tracées d’avance, résultent de cette exploration des formes littéraires. Des zones d’ombres persistent dans les histoires de ces personnages mystérieux, qui conservent un caractère insondable rappelant celui des paysages nordiques hostiles.

Cette prise de risque en ce qui concerne le style d’écriture n’est pas sans conséquences. La lecture devient parfois déstabilisante. Le lectorat chavire dans ces histoires parallèles qui prennent diverses formes, mais la poésie qui en découle n’en est que plus touchante.

Mention photo Sophie Mediavilla-Rivard

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *