L’impression de ne pas être prises au sérieux, non seulement par le gouvernement, mais par la société entière, habite les éducatrices à l’enfance. Alors que les grèves se multiplient, ces travailleuses revendiquent de meilleures conditions de travail et un salaire plus élevé.
Les 14 et 15 octobre derniers avait lieu la grève des travailleuses syndiquées des Centres de la petite enfance (CPE) du Québec, suivi des garderies privées non subventionnées quelques jours plus tard.
Ces grèves découlent surtout d’un besoin criant de valorisation, explique Noémie Ballabey, diplômée de la technique d’éducation à l’enfance en 2018. « Le métier d’éducatrice est tellement sous-valorisé […] que les gens sont de moins en moins intéressés par la formation et le métier », déplore-t-elle. Les éducatrices doivent également jongler avec l’insuffisance de matériel adapté à leur travail, ainsi qu’avec la difficulté d’accès aux subventions gouvernementales pour venir en aide aux jeunes à besoins particuliers.
Nancy Fortier, éducatrice à l’enfance depuis trois ans, abonde dans le même sens. « Encore aujourd’hui, des personnes nous voient comme de simples gardiennes », ajoute-t-elle. Pourtant, les éducatrices qualifiées ー soit celles ayant obtenu un diplôme en Techniques d’éducation à l’enfance ー reçoivent une formation complète dans laquelle on leur apprend le développement des 0 à 5 ans et des techniques d’intervention, en plus de les outiller pour amener les enfants à devenir les adultes de demain.
Une pénurie dans le milieu
Le 21 octobre dernier, le gouvernement Legault a lancé le « grand chantier pour les familles », qui a comme objectif de compléter et moderniser le réseau des services de garde éducatifs à l’enfance. Dans ce plan, il stipule vouloir offrir 37 000 nouvelles places dans le réseau de services de garde d’ici 2024-2025. Pour atteindre ces objectifs, il faudra 17 800 nouvelles éducatrices à l’enfance, dont 14 000 qui devront être qualifiées.
Le réseau vit présentement une pénurie de personnel comme rarement il y en a eu dans le milieu. La présidente de la Fédération des intervenantes en petite enfance (FIPEQ), Valérie Grenon, craint que les éducatrices en CPE soient contraintes de faire des heures supplémentaires obligatoires.
Le mouvement Valorisons ma profession, qui a pour mission de mettre en valeur le rôle des éducatrices dans les différents milieux de garde, a mené un sondage maison auprès de 3669 éducatrices québécoises. Émilie Dechamplain, l’instigatrice de ce mouvement, se dit alarmée par les résultats dévoilés en juin dernier. « 47 % des éducateurs et éducatrices [en garderies subventionnées, non subventionnées et en CPE] envisagent de quitter la profession dans les trois prochaines années, 14 % d’entre eux dans les six à douze mois », signale-t-elle.
De moins en moins d’inscriptions
Les enseignant(e)s du Cégep Édouard-Montpetit, tout comme ceux et celles de nombreux autres cégeps offrant le programme de Techniques d’éducation à l’enfance, ont remarqué une baisse importante du nombre d’inscriptions dans ce programme. Selon Maude Pépin-Charlebois, enseignante au Cégep Édouard-Montpetit, « il y a en moyenne 90 à 100 inscriptions par année, mais seulement 35 à 40 étudiant(e)s obtiennent leur diplôme ».
Cette réalité existe dans tout le réseau collégial. Selon le ministère de l’Éducation, en 2016, près de 4200 personnes étaient inscrites au Québec dans un diplôme d’études collégiales en Techniques d’éducation à l’enfance, alors qu’en 2020, ce nombre a chuté à près de 3200.
L’amour du métier malgré tout
Pour plusieurs, devenir travailleuses de la petite enfance n’était pas un choix, mais une certitude. Éducatrice depuis maintenant dix ans, Camille Hamelin a commencé sans qualification. « Ma mère possédait son milieu familial. Alors, depuis l’âge de deux ans, j’ai toujours été en contact avec des enfants. C’était donc clair pour moi que je voulais devenir éducatrice. Encore aujourd’hui, je ne me vois pas faire autre chose », partage-t-elle. Elle a décidé d’aller suivre sa formation collégiale quelques années après pour consolider les connaissances qu’elle avait déjà acquises jusque-là.
« Je me suis toujours dit que c’est avec [les enfants] que je voulais travailler, car dans ma tête […] ce n’est pas un métier, c’est une passion et une vocation », raconte pour sa part Noémie Ballabey. « C’est tellement gratifiant de voir les enfants grandir et s’émerveiller pour tout. Pour moi, ça vaut beaucoup plus que les mauvaises conditions liées à notre métier », ajoute-t-elle.
Quant à Nancy Fortier, elle compte rester longtemps dans le domaine. Pour elle, la passion du métier et la volonté de contribuer à faire une différence dans sa communauté dépassent les conditions dans lesquelles elle l’exerce. « Le fait de travailler dans un beau milieu nous fait oublier toutes ces conditions, ou du moins met un baume sur notre travail. Je vais rester fièrement une éducatrice passionnée, mais qui en même temps se croise les doigts pour qu’il y ait des changements positifs à notre métier », conclut-elle.
Mention photo Magali Brosseau | Montréal Campus
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