« Néthique » ou comment enseigner le numérique

Maîtriser la technologie est une chose ; s’en servir à bon escient en est une autre. On dit de la nouvelle génération qu’elle a grandi avec un cellulaire à la main, mais comment outille-t-on les jeunes à en faire un usage éthique ?

Dans sa réforme du cours d’Éthique et culture religieuse (ECR) – initialement prévue pour la rentrée 2022, et récemment repoussée d’un an – le gouvernement prévoit produire un programme dont l’un des volets porterait sur la citoyenneté numérique. À l’enseignement des religions, s’ajoute le culte de notre temps : les réseaux sociaux.

Pour certain(e)s enseignants et enseignantes, la nouvelle mouture du cours d’ECR ne doit pas se faire attendre : c’est maintenant qu’il faut aborder la « néthique », soit la moralité en ligne.

Prendre les devants

« On parle de l’impact de l’anonymat, de se faire des faux comptes par exemple, et qu’est-ce que ça peut entraîner comme violence sur les réseaux sociaux », raconte Catherine Sergerie, enseignante en quatrième et cinquième secondaire à l’école privée François Bourrin, à Québec. La professeure, qui revêt plusieurs chapeaux au sein de l’établissement scolaire – elle enseigne l’éthique et le français, en plus de donner un cours sur les médias – approche les enjeux relatifs au numérique dans ses différentes matières.

Ce « centre d’intérêt personnel qui s’est transféré dans [ses] cours » se traduit dans les œuvres littéraires et les documentaires traitant des problématiques des réseaux sociaux qu’elle présente à ses élèves. Cela mène à de « belles discussions » sur les sujets vus en classe, tels que les impacts des médias sociaux sur le rapport au corps et la dépression.

À l’heure actuelle, l’incorporation de la citoyenneté numérique au primaire et au secondaire n’est pas obligatoire. Il revient à la discrétion de l’enseignant ou de l’enseignante de l’ajouter au cursus. Toutefois, le phénomène se répand, par-ci, par-là, à travers les initiatives des professeurs et des professeures. « De plus en plus d’enseignants le font. Le RÉCIT [Réseau éducation collaboration innovation technologie] a mis en place [des] activités sur la citoyenneté numérique depuis des années, desquelles on peut s’inspirer », souligne avec optimisme Catherine Sergerie.

« On nous pousse vraiment à trouver les problèmes [des réseaux sociaux] et après ça, tu te rends compte de l’envers de la médaille. […] tu te reconnais là-dedans », raconte Charlyne Giroux, étudiante de Mme Sergerie en cinquième secondaire à l’école François Bourrin. L’adolescente de 16 ans a réalisé un exposé oral sur la dysmorphie corporelle – un complexe physique imaginaire ou démesuré – que peuvent causer les réseaux sociaux. Elle explique que ces derniers prennent de plus en plus de place en grandissant. 

Bien que certaines plateformes restreignent l’âge de leurs utilisateurs et leurs utilisatrices, Charlyne Giroux constate qu’ il est facile de détourner les règles. « Il faut 13 ans, mais ce n’est pas dur de dire que tu es né en 2008 », mentionne celle qui a créé ses premiers comptes en ligne entre sa sixième année et sa première secondaire. 

Une fois connecté(e)s, ils et elles s’exposent à toutes sortes de choses. « J’ai vu une décapitation de lapin [sur TikTok] que je ne tenais pas à voir », confie la finissante. Bien qu’il y ait la fonction « Ça ne m’intéresse pas » qui permet de bloquer tout contenu non désiré, de telles vidéos ont le temps de circuler avant que le filtrage des médias sociaux fasse son travail, observe Charlyne Giroux.

Une responsabilité partagée

Les aspects techniques des réseaux sociaux comme la modération, le signalement de commentaires ou les restrictions sur le nombre de caractères contribuent beaucoup à la violence en ligne, d’après le professeur au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Alexandre Coutant. Il met en évidence  que la limite de 140 caractères sur Twitter empêche d’être nuancé, ou encore que la modération algorithmique a des failles. « Il y a beaucoup de vidéos de violence extrême […] qui sont très difficiles à faire modérer, et puis à l’opposé vous mettez une œuvre d’art où il y a de la nudité, elle se fait modérer immédiatement », remarque-t-il.

 Selon le docteur en sciences de l’information et de la communication, l’explication de ces caractéristiques techniques s’avère très efficace dans l’enseignement de l’éthique en ligne. « Ça aide énormément les personnes. Une fois qu’on leur a raconté [le fonctionnement], elles ne se font plus avoir par l’espèce de mécanisme qui [les] encourage à tenir des propos péremptoires et secs », indique-t-il.

Il se dit en faveur de l’éducation numérique dans les écoles primaires et secondaires, jugeant même qu’elle devrait faire partie de la formation continue et professionnelle. Il insiste aussi sur la nécessité des réseaux sociaux de mettre en place un cadre respectueux : « Des bonnes conversations civiles, ça se passe parce qu’il y a un cadre qui est sain. Les plateformes n’ont pas mis un cadre sain et elles sont responsables là-dessus, elles devraient davantage investir dans la modération de qualité. »

Photo Lila Maitre | Montréal Campus

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