De la scène à l’écran : la grande transition du théâtre

Si la pandémie a eu raison de bon nombre d’œuvres qui devaient faire vibrer les planches de théâtres, les salles de spectacles auront tout de même trouvé une façon de s’adapter. Quelques œuvres ont en effet réussi le passage ardu de la scène au Web ou à la télévision, et ce, malgré l’absence de public et les défis d’une telle adaptation.  

La face cachée de la lune de Robert Lepage, Les Hardings d’Alexia Burger ou encore Prélude à la Nuit des rois de Frédéric Bélanger sont quelques-unes des œuvres qui auront eu l’occasion de renouveler leur format pendant la pandémie.  

Pour la comédienne Ève Landry, l’année 2020 fut pleine de surprises. L’artiste que l’on connaît surtout pour ses rôles à la télévision (M’entends-tu?, Unité 9) avait choisi de prendre une année pour jouer exclusivement au théâtre. « J’avais besoin de cette grandeur que la scène nous donne , de renouer avec le public. […] J’étais vraiment déçue de travailler à nouveau devant des caméras. Bien sûr, j’adore faire de la télé, mais je n’étais pas là pour ça », a-t-elle expliqué au Montréal Campus. 

Selon elle, le public est ce qui sert de moteur à l’acteur et l’actrice et il est  l’essence même d’un art vivant comme le théâtre. Cette absence de public peut d’ailleurs jouer sur la santé mentale des comédien(ne)s : « Entre les scènes pendant la captation de La Nuit des Rois, je retournais en coulisses et avec mes collègues, on ne pouvait pas s’empêcher de se dire à quel point c’était démoralisant, voire déprimant. » 

Son collègue de jeu et ami, Benoît McGinnis, dénote lui aussi les effets négatifs, mais surtout déstabilisants, que l’absence de public et la captation d’une pièce à des fins de webdiffusion peuvent avoir sur le jeu des comédien(ne)s. : « Tu te trouves privilégié de le faire, mais en même temps tu sais que tu vas devoir complètement modifier ta façon de jouer pour les caméras. C’est déjà un exercice mental assez exigeant de toujours jouer comme si la salle était pleine alors qu’il n’y a personne. ». 

La grande transition

Le concept de télé-théâtre, qui peut à première vue être né d’un besoin criant de culture issue de la pandémie, remonte plutôt au milieu des années 1950. À l’époque, Radio-Canada diffusait souvent des télé-théâtres. Lors de la diffusion de sa pièce La face cachée de la lune, le metteur en scène, Robert Lepage, a d’ailleurs dit en entrevue à Radio-Canada que la dernière fois qu’une pièce avait été télédiffusée, c’était au début des années 2000. Cela faisait donc presque 20 ans qu’une pièce n’avait pas été captée pour la télévision au Québec. 

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela, dont le fait que certaines pièces sont dénaturées lorsque retransmises à la télévision ou sur le Web, explique Ève Landry. Selon la comédienne, une pièce de théâtre ne peut pas être filmée comme une série télévisée. Il faut éviter les gros plans sur les visages des comédien(ne)s ou encore les montages trop serrés entre les plans. Elle reproche d’ailleurs à certaines webdiffusions et télédiffusions de trop vouloir changer le théâtre en expérience télévisuelle : « L’expérience théâtrale, ce n’est pas ça. C’est quelque chose de plutôt fixe lorsqu’on le capte en vidéo parce que c’est dans les yeux du spectateur et dans le jeu de l’acteur que l’action prend vie. » 

Le comédien Benoît McGinnis garde quant à lui un très bon souvenir de son expérience de captation de la pièce Prélude à la Nuit des rois. Il souligne d’ailleurs le fait qu’une grande collaboration s’est installée entre le metteur en scène et l’équipe de captation, ce qui a permis un tournage adapté aux comédiens et comédiennes  ainsi qu’à la scène: « Comme il n’y avait pas de public dans la salle, les caméras ont pu nous suivre partout sur la scène. Ça  a donné des plans superbes, sans aller dans le gros plan ou dans les nombreux découpages entre les plans qui donnent l’impression de la télé. »

Bien que la déception fut grande lorsque l’administration s’est vue contrainte de fermer le théâtre et d’opter pour la webdiffusion, la collaboration avec le metteur en scène Frédéric Bélanger, lors du laboratoire Prélude à la Nuit des Rois, a donné des résultats innovants et impressionnants selon Lorraine Pintal, directrice générale du TNM. « Il s’agissait vraiment de faire une exploration, un laboratoire autour de l’œuvre pour donner envie au public de venir voir le spectacle qui a été reporté à l’automne 2022 », ajoute-t-elle.

L’optimisme dans la survie

Cette idée de laboratoire théâtral en webdiffusion, comme ce fut le cas pour Prélude à la Nuit des Rois, est une nouveauté très bien accueillie au sein de l’équipe du Théâtre du Nouveau Monde (TNM). « Les créateurs peuvent enfin prendre leur temps et réellement s’imprégner de l’œuvre qu’ils présentent. Au Québec particulièrement, nous sommes des boulimiques de production. On produit sans cesse sans nécessairement avoir le temps d’explorer l’œuvre de fond », explique Mme Pintal.

Ève Landry demeure optimiste et croit que les nouvelles diffusions vont permettre à des gens qui n’avaient auparavant pas accès au théâtre de s’adonner à ce plaisir. Elle songe entre autres aux personnes âgées, mais aussi aux personnes à mobilité réduite pour qui se rendre au théâtre pour assister à une production est difficile. Elle a également une pensée pour les écoles primaires et secondaires en milieux défavorisés qui n’ont pas les moyens de se payer des sorties culturelles. Bien que Benoît McGinnis ait aimé son expérience et qu’il soit optimiste, le comédien craint pour sa part qu’elles n’amènent qu’un amour éphémère d’un nouveau public pour le théâtre. Il pense que les gens qui n’allaient pas au théâtre avant n’iront probablement pas plus après la pandémie. 

Le positivisme de Lorraine Pintal quant à la suite des choses et à l’amour nouveau que le public porte au théâtre fait pointer à l’horizon une lueur d’espoir. Selon elle, la webdiffusion et la télédiffusion sont l’avenir du théâtre et elles permettront d’aller rejoindre un grand nombre de personnes qui n’y avaient pas auparavant accès.

Mention photo : Lila Maitre, La face cachée de la Lune (Robert Lepage)

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