La Nuit des Rois: le règne brillant de l’hostilité

La Nuit des Rois, en lice pour l’Oscar du meilleur film étranger, plonge le public dans la dangerosité du milieu carcéral, sans pour autant tomber dans un excès de violence sensationnaliste. Réalisé et écrit par le Franco-Ivoirien Philippe Lacôte, le long-métrage est sorti le 12 mars. 

Tout juste arrivé à la prison surpeuplée de Maca, située en Côte d’Ivoire, un jeune voleur (Bakary Koné) est choisi par le caïd Barbe Noire (Steve Tientcheu) pour devenir le prochain « Roman ». Il doit au péril de sa vie, durant une nuit entière sous la lune rouge, raconter des histoires jusqu’au lever du jour et éviter le chaos qui menace la prison.

La tradition orale du « Roman », présente dans les prisons ivoiriennes, a toujours fasciné  le réalisateur Philippe Lacôte, tout comme le milieu carcéral: « Ça fait longtemps que je visite des prisons, parce que mon histoire personnelle – je n’ai jamais été détenu – m’a beaucoup amené en prison. […] Quand j’étais enfant, ma mère était en prison à la Maca pour des raisons politiques », a-t-il raconté au Montréal Campus. C’est cette connexion personnelle du réalisateur avec la prison et son intérêt pour cette tradition orale qui l’ont mené à présenter cette « société des prisonniers ».

Le paroxysme de l’hostilité 

La société ayant ses propres règles est teintée d‘une hostilité qui est reine, et qui crée un certain suspense inquiétant tout au long de l’œuvre. « C’était important pour moi de reproduire cette atmosphère crédible de prison. Rien n’était fait de manière gratuite », explique le réalisateur. Souhaitant reproduire ce climat de manière la plus authentique possible, 25% des figurants présents étaient d’anciens détenus. De plus, tous les dessins reproduits sur les murs de la prison existent, étant copiés de réels graffitis retrouvés dans des prisons à travers le monde. 

Dès l’arrivée du jeune voleur à la tire (pickpocket) à la Maca, l’animosité l’avale et l’envahit, entouré par une foule de prisonniers. Le climat d’antipathie est aussi ressenti par le public, grâce aux différents éléments d’intrigue. Certains plans montrent un crochet suspendu : sans même avoir à nommer le danger, les spectateurs et les spectatrices comprennent que la vie du personnage principal est en jeu. « Mon objectif n’était pas d’étaler la violence, mais de faire sentir qu’elle est là ». Une décision intelligente du réalisateur qui amplifie la menace insidieuse qui plane au-dessus du protagoniste.

Cette hostilité est illustrée avant même que le personnage principal rencontre les prisonniers, qui forcent une femme trans à se mettre nue devant eux, étant des dizaines à l’encercler. Cette poignante scène d’humiliation réussit brillamment à permettre au spectateur de comprendre le climat de la prison, et de s’inquiéter pour Roman tout au long du film.

La société carcérale trop captivante

« Il ne fallait pas que la prison devienne juste un alibi pour déclencher un récit […] qui fait voyager par des flashbacks », confie Philippe Lacôte. Objectif atteint, pour le meilleur et pour le pire. Le réalisateur présente un milieu carcéral si bien tracé qu’il en devient en fin de compte peut-être plus intéressant que le récit de Roman.

Les rôles complexes et intrigants que jouent les détenus sont si intelligemment construits et présentés qu’ils compensent pour le peu de détails qu’on sait sur eux. L’intention du réalisateur n’était pas de se pencher vers les personnages secondaires, mais plutôt de se centrer sur le récit de Roman, où se chevauchent vérité et fiction. 

Le chef Barbe Noire, inspiré de Yacou le Chinois (un caïd ayant réellement été incarcéré à la Maca), doit accepter son chemin vers la mort, devant se suicider, comme le veut la tradition qui impose aux chefs de se tuer s’ils sont trop malades pour gérer la prison. Sexy, la seule femme de la prison, est humiliée en public, mais est adorée en privée, comblant les désirs sexuels des détenus. Elle n’est centrale que dans quelques courtes scènes, étant souvent à l’arrière-plan. Ces deux figures secondaires et l’ambiance hostile sont si bien construits qu’il aurait été agréable de s’attarder un peu plus à cette société carcérale.

Le long métrage n’étant qu’une heure et demie, le film aurait pu se permettre de rajouter quelques scènes pour développer davantage ces personnages. Malgré ce faible manque, l’œuvre réussit tout de même à présenter une histoire originale et prenante, ancrée dans les traditions de la Côte d’Ivoire.

Mention photo : La nuit des Rois

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