La 2e vague de dénonciations : six mois plus tard

L’été dernier, des victimes d’agression sexuelle ont pris la parole sur les réseaux sociaux afin de dénoncer les actes de violence qu’elles avaient subies. Plus de six mois plus tard, des agresseurs et agresseuses présumé(e)s sortent du silence. Si plusieurs personnes semblent prêtes à passer l’éponge sur les comportements problématiques dénoncés, d’autres pensent qu’il est encore trop tôt pour parler de rédemption. 

« Des travaux de recherche ont bien montré comment les hommes violents envers leur conjointe peuvent nier, justifier et rationaliser leurs comportements violents a posteriori », explique la chargée de cours et doctorante en sociologie, Sandrine Ricci. 

Tentant eux et elles aussi de justifier leurs comportements, certain(e)s agresseurs et agresseuses présumé(e)s ont recours à des excuses publiques pour redorer leur image. Selon Mme Ricci, il serait intéressant d’étudier les excuses médiatiques et les stratégies de défense publiques des personnes dénoncé(e)s.

Pour réaliser une telle recherche, il faudrait d’abord examiner les excuses ou les circonstances atténuantes invoquées par l’agresseur ou l’agresseuse présumé(e) pour se défendre : l’alcool, le tempérament, la solitude ou un consentement mal interprété. 

« Depuis très jeune, j’ai ignoré les problèmes que j’avais, j’ai étourdi mon mal-être avec l’alcool, la drogue et plus tard le travail. J’ai oublié de faire attention à l’humain et aux gens autour de moi. Je ne veux en aucun cas me cacher derrière cette maladie. Je suis un alcoolique et je me rétablis, un jour à la fois », a écrit l’humoriste Julien Lacroix dans son texte d’excuse publié sur Facebook, le 12 janvier dernier.

D’après Mme Ricci, il faudrait ensuite étudier les arguments présentés en lien avec les mythes sur le viol. « Il est difficile de ne pas remarquer à quel point la tendance à la déresponsabilisation des agresseurs – par eux-mêmes ou par la société – s’inscrit en total contraste avec la tendance générale des victimes de violence sexuelle ou conjugale, très souvent des femmes, à culpabiliser pour les faits subis », souligne la sociologue. 

Quand on observe ces excuses d’un point de vue sociologique et féministe, on y repère « la marque du pouvoir, des rapports de domination, souvent des rapports de genre », explique la chargée de cours.

Florence* est l’administratrice de la page Instagram @victims_voices_joliette, l’une des nombreuses pages de dénonciations anonymes ayant participé au mouvement. La jeune femme pense qu’il est beaucoup trop tôt dans le processus de réhabilitation pour parler de pardon. « Je pense surtout que si les gens sont déjà prêts à pardonner, c’est qu’ils n’étaient pas si choqués que ça au départ. Ce sont probablement ces mêmes personnes qui ont créé des pages de soutien à Julien Lacroix, par exemple. Malgré le désir qu’on a de vouloir éduquer ces gens-là, ils ne veulent rien entendre », témoigne Florence, animée par un mélange de frustration et de désespoir. 

Revendiquer le changement

Depuis le mois de juillet dernier, les juristes et les intervenant(e)s de la clinique juridique Juripop, qui offre ses services en matière de violences à caractère sexuel, ont accompagné des centaines de personnes dans leurs démarches de dénonciation, qu’elles soient judiciaires ou non. 

Si les demandes auprès de Juripop avait été particulièrement énorme après la vague de dénonciations, elles sont désormais constantes. « Évidemment, les vagues de dénonciations libèrent la parole sur l’espace public et encouragent certaines personnes à aller s’informer de leurs droits, mais on voit surtout que c’est un besoin qui est vraiment indépendant de l’actualité », affirme la directrice générale de Juripop, Me Sophie Gagnon. 

Pour Me Gagnon, le besoin de dénoncer sur les réseaux sociaux ou dans un poste de police peut varier d’une personne à l’autre. « Quand on porte plainte à la police, on fait appel au droit criminel, un droit qui sert à punir, à dissuader et à démontrer le traitement que réserve la société aux agresseurs sexuels. Mais si le besoin de la personne, c’est de s’exprimer, d’obtenir réparation ou de revendiquer un changement de culture, le droit criminel n’a pas les réponses », explique l’avocate. 

Florence, elle, soutient que les victimes d’agression sexuelle dénoncent sur les réseaux parce que le système judiciaire a déçu trop de plaignant(e)s, trop souvent. « De nombreuses personnes m’écrivaient pour me dire qu’elles avaient essayé de porter plainte, mais que la plainte n’avait pas été retenue ou alors que les questions posées [par les enquêteurs et les enquêteuses] étaient indiscrètes ou manquaient d’empathie », confie-t-elle. 

D’après Me Gagnon, la vague de dénonciations avait aussi pour but de revendiquer un changement dans la société, pour changer notre rapport face au consentement, au sexe et au climat de travail. On ne dénonçait pas seulement l’agresseur ou l’agresseuse allégué(e), mais aussi la complicité tacite de la famille, des amis, des collègues. Dénoncer sur les réseaux sociaux, c’est donc revendiquer quelque chose qui dépasse largement le droit criminel, estime Sophie Gagnon.

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Si vous avez été victime de violence sexuelle, vous pouvez contacter l’une des lignes suivantes :

Ligne-ressource provinciale pour les victimes d’agression sexuelle : 1-888-933-9007

Clinique de services juridiques Juripop : 1-855-587-4767

Ligne d’écoute du DPCP : 1-877-547-3727

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