Alcool, jeunes et pandémie: un cocktail explosif?

Face à l’ennui, la solitude ou le stress, les jeunes adultes de 18 à 34 ans émergent des vagues de confinement avec une consommation d’alcool à la hausse. Entre dépendance et sobriété, portrait des habitudes de consommation des étudiants et étudiantes en temps de pandémie.

Les jeunes de 18 à 34 ans se trouvent surreprésenté(e)s parmi ceux et celles qui ont connu une augmentation de leur consommation d’alcool au cours de la pandémie, révèle une enquête menée en novembre dernier par Éduc’alcool. 

Alexandra*, étudiante en linguistique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), fait partie de ces jeunes : « Avant la pandémie, je buvais principalement les fins de semaine, puis au début de mars, je buvais tous les soirs. On avait juste ça à faire. C’était déprimant et on ne savait pas où on s’en allait », confie la jeune femme de 21 ans. « C’était rendu normal pour moi de boire toute seule à la maison un mardi soir. » 

Une santé mentale en déclin

« La pandémie a accentué le niveau de stress et d’anxiété, en particulier chez les jeunes », fait remarquer Jorge Flores-Aranda, professeur à l’École de travail social de l’UQAM et spécialiste en dépendances. D’après des études concernant les jeunes étudiants et étudiantes des cégeps et des universités, la fermeture des écoles et les sessions en ligne ont mené à une importante hausse d’anxiété chez cette population, explique-t-il. Face au contexte anxiogène de la crise sanitaire, nombre d’étudiants et d’étudiantes se sont réfugié(e)s dans la consommation de boissons alcoolisées.

Le porte-parole d’Éduc’Alcool, Hubert Sacy, rappelle toutefois que l’alcool est un dépresseur, ayant le potentiel d’augmenter l’anxiété au lendemain d’une forte consommation. « Quand tu sens l’angoisse, la solitude ou le stress, la dernière chose que tu dois utiliser pour [se] calmer est l’alcool », tranche-t-il.

Tristan Mac, étudiant en journalisme à l’UQAM, confie que l’isolement social vécu lors de la première vague de COVID-19 l’a poussé à adopter une forte consommation d’alcool, à la hauteur de deux bouteilles de vin par soir. L’alcool, auparavant un plaisir associé aux occasions festives, était devenu pour lui une source importante d’anxiété. Le jeune homme de 19 ans croit que l’alcool a joué un rôle dans la détérioration de sa santé mentale, qui était déjà fragile avant la pandémie. « De mars à mai […] j’ai eu envie deux fois de commettre l’irréparable », confie-t-il.  

Une tendance stable

Pour certains jeunes, le confinement a cependant eu l’effet inverse sur leurs habitudes : « Ceux qui ont diminué [leur consommation d’alcool] évoquent le fait qu’ils étaient des buveurs sociaux », soutient Hubert Sacy. 

C’est notamment le cas d’Arielle Desgroseillers-Taillon, étudiante en journalisme à l’UQAM. « J’étais une très grande buveuse pré-pandémie », explique celle qui avait l’habitude de sortir plusieurs fois par semaine dans les bars en compagnie de ses amis et de ses amies. « Ensuite, quand la pandémie a commencé […] je n’avais aucune envie de boire. Je me disais que ça ne servait à rien d’être saoule toute seule chez moi […]. Ma consommation est passée d’une vingtaine de verres par semaine, à peut-être un seul verre de vin », note l’étudiante de 21 ans.

M. Sacy souligne d’ailleurs que la tendance générale au sein de la population n’est pas à la hausse. 67% des Québécois et des Québécoises n’ont pas modifié leur consommation d’alcool avec le contexte de pandémie et 13% l’ont diminué. En comparaison aux données recensées en mars et avril derniers, lors du premier confinement, un constat s’impose : la consommation de boissons alcoolisées au sein de la population s’est stabilisée. « Il y avait 37% des gens qui avaient augmenté leur consommation au mois de mars et d’avril, alors qu’ils ne sont plus que 17% en novembre. Il y a eu une période d’adaptation », explique le porte-parole d’Éduc’alcool. Pour lui, ces chiffres sont encourageants : le contexte pandémique ne risque pas d’accroître significativement le nombre de buveurs et de buveuses dépendant(e)s au Québec. 

Redéfinir son rapport à l’alcool

Pour les jeunes qui, au contraire, croient avoir développé une relation problématique avec l’alcool depuis le début de la pandémie, l’expert en dépendances M. Flores-Aranda leur propose d’évaluer si leurs habitudes de consommation ont commencé à entraver leurs activités quotidiennes. En ce sens, Alexandra* et Tristan, après avoir constaté que leur consommation était devenue envahissante dans leur vie, ont tous deux choisi de prendre du recul. 

« En ce moment, je fais un mois sans alcool pour me prouver que je suis capable de le faire », témoigne l’étudiante, ayant rapidement constaté des bienfaits. « Je remarque que quand je ne bois pas, je suis moins stressée que je ne le pensais. »

Tristan, quant à lui, a décidé de prioriser sa santé : en plus d’avoir développé une saine hygiène de vie, il ne boit plus d’alcool depuis le début du mois de janvier et affirme n’avoir « jamais été aussi heureux de toute [sa] vie. »

Expérimenter une telle période temporaire de sobriété n’a pas seulement séduit Alexandra et Tristan : la présidente du Défi 28 jours sans alcool, Anne-Marie Caron, note un nombre impressionnant de participants et de participantes s’y étant inscrit(e)s cette année. Les inscriptions ont grimpé de 25 à 30% comparativement à l’année dernière. Pour la porte-parole de l’événement, le contexte de pandémie met en lumière l’importance de « prendre conscience de la place de l’alcool dans nos vies. »

*Nom fictif afin de préserver l’anonymat.

Mention photo Manon Touffet | Montréal Campus

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