Infertilité: être mère autrement

Que la cause soit connue ou inexpliquée, les problèmes d’infertilité touchent près de 15% des couples canadiens. Mais ce problème d’ordre physiologique comprend des enjeux psychologiques insoupçonnés pour plusieurs femmes – et c’est le cas de Flavie, 21 ans. 

Flavie Boivin-Côté, étudiante au baccalauréat en enseignement du théâtre à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a su qu’elle était dans l’impossibilité d’avoir des enfants de façon naturelle lorsqu’elle a eu un diagnostic du syndrome de Turner, alors qu’elle était âgée de seulement 4 ans. Le syndrome de Turner est une maladie génétique engendrée par une anomalie chromosomique qui cause, entre autres, un défaut de fonctionnement des ovaires. Dans le monde, une femme sur 2 500 en est diagnostiquée.

C’est seulement quelques années plus tard que Flavie a commencé à poser des questions sur sa condition : « C’est une chose de comprendre que j’avais une maladie, mais c’est autre chose d’en comprendre les conséquences », explique-t-elle, ajoutant qu’elle visitait hebdomadairement l’hôpital lorsqu’elle était enfant. À 10 ans, alors qu’elle questionnait tout bonnement sa mère en voiture, la jeune femme a appris que ses amies pourraient avoir quelque chose qu’elle, n’aurait pas. Son deuil s’est entamé ce jour-là, et persiste toujours. Flavie sait que le plus dur reste à venir, lorsqu’elle verra ses amis et ses amies fonder des familles d’ici quelques années.

Le deuil d’une vie

« Le deuil, en général, c’est une perte. Pas nécessairement la perte de quelqu’un. [Ça peut être aussi] la perte d’un projet », définit la psychologue spécialisée en infertilité,  Danièle Tremblay. La thérapeute qualifie également le deuil de très épuisant moralement. Il peut être occasionné par une répétition des échecs de fécondation, par des fausses couches, ou simplement en raison du long processus d’acceptation de sa condition. Selon le Centre de fertilité de Montréal, le taux de succès de fécondation in vitro – qui peut être utilisée par un couple infertile – serait de 39%.

« En général, la notion d’infertilité est étroitement liée à la notion de couple », indique Marie Hazan, psychologue et professeure à l’UQAM, dans l’optique où le processus de reproduction naturelle se réfère à l’union de deux personnes. Flavie admet qu’il lui faudra trouver la perle rare qui saura l’aimer « malgré tous [ses] bobos » pour la soutenir dans ses projets familiaux. L’infertilité, au-delà du dysfonctionnement de la procréation, représente également un défi de taille qui affecte les couples dans toutes ses dimensions – affective ou sexuelle, affirme Mme Tremblay. Elle tient toutefois à souligner que nombreux sont les partenaires qui sortent de cette situation encore plus soudé(e)s.

Se chercher dans la non-représentativité

C’est lorsqu’elle était au milieu de son secondaire que la perception qu’avait Flavie de sa maladie a commencé à changer : « Les autres filles se plaignaient d’avoir leurs règles, mais moi, je savais que j’allais avoir besoin de médicaments pour les avoir. Et je savais qu’avoir ses règles signifiait avoir des ovaires et un utérus qui fonctionnent », exprime-t-elle avec un certain recul. L’étudiante n’a jamais senti qu’elle correspondait au moule dans lequel les jeunes filles essayaient de se conformer : « Toute ma vie, j’ai eu l’impression [d’être] la fille qui voit sa gang devant elle et qui court pour la rattraper », explique Flavie, alors que les mots semblent lui manquer pour exprimer son incapacité à se reconnaître dans un groupe en particulier. 

La crise identitaire à laquelle Flavie a dû être confrontée est née notamment par le biais des cours de sexualité au secondaire, toujours donnés dans un objectif strictement biologique. Ainsi, elle se rappelle que son enseignant avait affirmé que la femme, biologiquement, était faite pour avoir des enfants : « Alors si c’est ça, mon devoir biologique, et que je ne suis même pas capable d’y répondre, moi, je sers à quoi? »  

« J’aurais vraiment aimé que quelqu’un m’en parle », confie la jeune femme de 21 ans. Elle aimerait aussi que la notion de choix soit discutée : « Ce n’est pas vrai que c’est un devoir d’avoir des enfants. » La professeure Marie Hazan abonde dans ce sens. Elle ne croit pas, elle non plus, qu’il s’agisse d’une responsabilité fondamentale pour la femme. Flavie remarque que même les femmes qui rencontrent des problèmes d’infertilité se voient instinctivement proposer les options qui s’offrent à elle –  l’adoption, par exemple –. Elle aimerait que tous et toutes soient conscientisé(e)s sur la notion d’infertilité, et sous toutes ses dimensions. 

Chose certaine, Flavie aimerait beaucoup avoir des enfants. Comment, par le biais d’un don d’ovule en encore de l’adoption? Seul l’avenir le lui dira. Elle a toujours été très maternelle, avec ses amis comme avec sa famille, faisant déjà d’elle une marraine assurée pour plusieurs futurs enfants. Elle est convaincue que ce trait de sa personnalité est lié de façon claire au diagnostic du syndrome de Turner. La psychologue Danièle Tremblay le dit : « l’important, c’est de ne pas perdre sa fertilité symbolique », soit la capacité d’être un bon modèle pour un enfant sans nécessairement partager un lien biologique. 

L’étudiante en théâtre essaie toutefois de trouver une façon pour que cette maladie ne la définisse pas, même si elle fait partie d’elle. Elle a su trouver en la pratique théâtrale et la littérature une tribune et une véritable communauté – dans le milieu des arts – les femmes se soutiennent beaucoup entre elles, explique Flavie. Pour la première fois, la jeune femme s’est dit, sans penser aux conséquences qu’entraîne sa maladie: « Ok, c’est là qu’elle peut exister, Flavie. »

Mention photo : Lila Maitre | Montréal Campus

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