Oeuvres publiques : un retour à l’essence de l’art

À Montréal, l’art public est une offrande artistique accessible à tous. En plus d’être un bien culturel gratuit qui embellit le paysage industriel, il apparaît indispensable en temps de pandémie.

« Il est tellement plus facile de créer quand j’ai une inspiration du tissu urbain. Ces œuvres sont plus fortes et plus porteuses de sens », explique l’artiste montréalais et diplômé de l’UQAM Philippe Allard. Selon lui, l’inspiration doit venir avant la localisation. M. Allard souligne l’importance pour un(e) artiste de s’imprégner du contexte immédiat d’un projet. L’inspiration est propre à un moment et lorsqu’elle vient à l’artiste, elle lui permet d’entrer en interaction avec la ville qui devient sa toile. 

L’environnement d’une ville est rempli d’éléments esthétiques avec lesquels les ajouts des artistes entrent en conversation. Philippe Allard utilise le terme « parasitage architectural » pour décrire sa façon de créer. « J’aime prendre des éléments urbains malades ou en manque d’amour et leur faire reprendre de la valeur », explique-t-il. Il s’agit d’un procédé intime, malgré l’échelle des œuvres, pendant lequel la tapisserie industrielle de la ville accueille la vision de l’artiste pour générer une architecture nouvelle.

Selon M. Allard, il en résulte une collaboration bien plus profonde que lors de la création d’œuvres d’art classiques. Contrairement à une toile ou d’autres canevas traditionnels, l’environnement urbain aura toujours son mot à dire dans l’art qui l’implique et devra, d’une certaine façon, accepter le corps étranger que lui propose l’artiste. C’est pour cette raison que Philippe Allard parle de « dialogue créatif entre inspiration et tissu urbain ».

Rompre avec l’art élitiste

L’ancien étudiant à l’École des Arts de l’UQAM Jason Cantoro a plus foi en l’art public qu’en le milieu de l’art traditionnel au Québec. 

« Le monde actuel des galeries dans notre province est malheureusement un réseau qui a pour conséquence de garder les artistes dans la pauvreté », exprime-t-il. L’artiste affirme que le réseau ne tient pas compte de la réalité de faire de l’art, mais qu’il préconise plutôt un cheminement artistique prédéfini par les universités et les pédagogues. Jason Cantoro prône que le but de l’artiste devrait être de s’adresser à tout le monde et non pas de cheminer dans un entonnoir élitiste qui n’interpelle plus les gens « normaux ».

Le professeur à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM Alexandre Castonguay explique qu’il est évident que moins de révérence soit accordée à l’art urbain qu’aux œuvres d’art classiques. Il emprunte la théorie de Walter Benjamin, un philosophe allemand, pour aborder le phénomène. « Les œuvres traditionnelles bénéficient d’une aura produite par le contexte dans lequel elles sont vues [et] qui est le musée », raconte-t-il. Les galeries cautionnent l’importance des différentes œuvres qu’elles exposent, ce qui donne le ton de la valeur de l’art au public. « Par contamination, les formes d’art plus traditionnelles procèdent cette idée de valeur muséale dans l’esprit du public », affirme M. Castonguay.

Ce dernier voit par ailleurs l’art comme un écosystème dans lequel il y a de la place pour tout le monde. « C’est certain qu’il y aura une grande place pour l’art urbain et les interventions performatives dans l’espace public, mais j’encouragerais les gens à ne pas trop accorder de prépondérance à la place d’un seul médium », dit-il. 

Philippe Allard affirme lui aussi qu’il y a évidemment un côté élitiste associé aux institutions muséales. « Je crois que mon art [et] celui des artistes comme moi tombent dans une craque », raconte-t-il. L’artiste urbain explique que la démocratisation du monde artistique se fera par le « “street art” qui parle d’enjeux de société de notre époque. » M. Allard exerce dans le monumental autant que dans l’éphémère, ce qui lui permet de parler à des groupes très précis de la communauté. 

L’art urbain en temps de pandémie

Philippe Allard ne croit pas que la pandémie augmentera la popularité de l’art urbain. « Les circonstances sont bien tristes pour les musées qui sont déjà des institutions sous-subventionnées, mais la situation n’augmentera pas la consommation d’art urbain par la société », déclare-t-il. 

Le professeur d’art visuel, Alexandre Castonguay croit quant à lui que cela restera à voir. Il pense que la déperdition de l’appréciation de l’art urbain par rapport à l’art traditionnel pourrait s’expliquer philosophiquement. « Pour qu’une chose ait de la valeur dans notre société, souvent il faut qu’on puisse y mettre une valeur marchande ou qu’on puisse la posséder », raconte-t-il. Sous cet angle, l’avantage va donc à l’art classique qui est marchandable et auquel la société attribue maintenant une valeur culturelle. « Les gens ne vont pas voir La Joconde pour voir La Joconde, ils vont voir La Joconde pour pouvoir dire qu’ils ont vu La Joconde », explique M. Castonguay.

Philippe Allard affirme que les musées servent de « temples de la méditation ». Cette fonction qui leur est attribuée tombe maintenant sur les épaules de l’art le plus facilement accessible en temps de pandémie, soit l’art urbain. Cette joaillerie industrielle et publique est maintenant l’art le plus consommé et ce n’est que le temps qui nous dira si elle le demeurera après la fin de la pandémie.

Mention photos : Louis Garneau-Pilon

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