Quelque part, autrement : l’art de se rassembler à distance

Présenté par la Galerie de l’UQAM, le deuxième volet du projet audiovisuel QUADrature, Quelque part, autrement, a débuté le 23 octobre dernier et met en vedette les oeuvres numériques de faye mullen, Leila Zelli, Anna Binta Diallo et Mona Sharma.

Quelque part, autrement donne suite au premier volet du projet QUADrature, Respiration, une réponse à la mort de l’Afro-Américain George Floyd aux mains de policiers blancs. Ce second volet s’enracine dans les idées de l’essai de l’économiste Felwin Sarr intitulé Habiter le monde : essai de politique relationnelle

« Je suis tombée sur ce magnifique essai qui dit grosso modo que toutes les crises que nous traversons présentement, la crise environnementale, économique sont liées à une seule et même crise, la crise de la relationnalité », explique Ariane De Blois, la commissaire d’exposition et détentrice d’un doctorat en histoire de l’art de McGill. 

« On a du mal à entrer en relation avec notre environnement et avec les autres. Je voulais prendre cette opportunité pour repenser nos manières d’être ensemble », renchérit la commissaire. Avec cette idée en tête, elle a collaboré avec des artistes se servant de matière numérique et dont leurs oeuvres s’inspirent d’imagerie populaire. De ce fait, les projets présentés permettent de découvrir et de comprendre des perspectives culturelles différentes et reflètent l’effet rassembleur recherché par Ariane De Blois.

Quatre oeuvres contemplatives à découvrir

La création de faye mullen, AASAMISAG, signifiant « mur » en ojibwée (l’une des langues parlées par la communauté des Anichinabés) est un exemple captivant de transformation de documents numériques en une pièce d’art contemporain. L’artiste partage son écran d’ordinateur avec le public pendant 20 minutes, où se succèdent images et vidéos provenant de divers réseaux sociaux, documentaires et logiciels.  

Elle invite le spectateur à se questionner sur l’utilité du mur et des frontières. D’une voix à la fois douce et affirmée, elle démontre les effets nocifs qu’ont les murs sur nos relations interpersonnelles et notre environnement. « C’est un acte continuel de décolonisation que j’essaie de faire, d’aplatir complètement le mur de mon identité », précise l’artiste autochtone. La conclusion de faye mullen laisse une vive marque dans l’esprit du public. À rebours, elle propose de privilégier les créations en lien avec le territoire plutôt que des oeuvres destinées aux cimaises et aux murs.  

Pour sa part, l’artiste iranienne Leila Zelli fait écho dans son oeuvre à l’interdiction récente aux femmes de pratiquer le Varzesh-e Bâstâni, le sport national de l’Iran qui est un mélange entre culturisme, gymnastique et lutte. Selon l’État iranien, la présence de femmes dans cette pratique ternit la réputation de cette activité prestigieuse. « Malgré l’interdiction du gouvernement, [les femmes] continuent d’exercer ce sport antique et partagent leur vidéo sur Instagram », s’exclame l’artiste. Ainsi, elle explique avoir compilé plusieurs de ces vidéos afin de les faire jouer en boucle de manière à créer l’illusion que « les femmes ne s’arrêtent jamais ». 

Elle accompagne sa création libératrice du poème lyrique de Forough Farrokhzad, Il n’y a que la voix qui reste, qui encourage le dépassement de soi face à l’adversité. « C’est un poème qui exprime parfaitement mon propos », précise l’artiste iranienne qui avait l’habitude de lire ce poète à l’adolescence.  Ce projet est d’autant plus émouvant, car il met en valeur plusieurs jeunes filles déterminées qui rayonnent par leur résilience. Il transmet l’espoir aux générations futures et certifie que la lutte des femmes en Iran est loin d’être terminée. 

Anna Binta Diallo nous propose quant à elle une quête identitaire par le biais d’archives familiales juxtaposées à des vidéos numériques. L’artiste jongle avec ces divers héritages pour ultimement y trouver une balance confortable. « J’essaie de reconnecter avec ma vie, ma famille, mon héritage sénégalais, et de comprendre ma connexion avec le Canada », dévoile l’artiste. 

Les images et les archives visuelles s’enchaînent rapidement. L’auditoire est submergé dans l’univers d’Anna Binta Diallo. À gauche de l’écran, l’artiste explore la nostalgie de sa culture d’origine, à droite, se trouve ses influences occidentales et au centre, l’équilibre entre ces deux mondes. 

Finalement, Mona Sharma nous invite à voyager dans ses rêves, à travers une série d’images digitales représentant un récit à la fois biographique et fictionnel. Elle expose des paysages oniriques où la nature y est omniprésente. Les scènes sont riches en couleurs et il est facile de se perdre dans les détails.  

« J’essaie d’explorer les difficultés liées à la communication et à la solitude de se sentir étranger dans son pays natal », précise l’artiste canadienne, originaire d’Asie du Sud. L’amitié et la recherche identitaire sont au coeur de cette allégorie audacieuse qui remet en question la binarité d’une société occidentale. 

Quelque part, autrement est une exposition enrichissante à différents égards qui se démarque, notamment par la diversité culturelle présente dans chacune de ces oeuvres. Il s’agit d’une porte nous permettant de découvrir de nouvelles narratives et façons de voir le monde à travers un médium numérique qui défie les conventions.

Mention photo Mona Sharma, Manifest (détail), 2018

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